Articulation entre inaptitude et rupture du contrat de travail en cours

Le Code du travail encadre strictement la procédure pour inaptitude. Les dispositions afférentes étant d’ordre public, l’employeur doit y être particulièrement attentif et ce, d’autant plus lorsqu’un autre motif de rupture du contrat de travail est envisagé dans le même temps.

Le médecin du travail évalue l’aptitude du salarié à occuper son poste à l’occasion des visites médicales, le plus souvent lors des visites de reprise suite à un congé maternité, un arrêt pour cause de maladie professionnelle ou un arrêt d’au moins 30 jours pour cause d’accident du travail ou de maladie/accident non professionnels.

En effet, lors du retour du salarié dans l’entreprise, ce dernier doit passer deux visites médicales espacées de 15 jours. Le médecin peut conclure, à l’issue de la second visite et après étude du poste et des conditions de travail, soit à l’aptitude du salarié, soit à son aptitude en émettant certaines réserves, soit à l’inaptitude à son poste voire à tout poste.

Dans ce dernier cas, l’employeur doit procéder à une recherche de reclassement du salarié dans l’entreprise ou dans le groupe.

Il ne peut se soustraire à cette obligation quand bien même un autre motif de rupture du contrat de travail serait envisagé.

C’est pourquoi il est indispensable de savoir articuler le projet de rupture du contrat de travail du salarié avec la procédure d’inaptitude.

1) Articulation avec un licenciement pour motif économique

Le licenciement économique résulte d’une suppression d’emploi ou d’une transformation d’emploi ou d’une modification d’un élément essentiel du contrat de travail refusé par le salarié et est consécutif à des difficultés économiques, des mutations techniques, une cessation de l’activité de l’entreprise ou la réorganisation de l’entreprise en vue de la sauvegarde de la compétitivité de celle-ci.

  • Si le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail, l’employeur ne peut plus engager ou continuer la procédure de licenciement pour motif économique. Il a l’obligation de respecter la procédure de licenciement pour inaptitude et de mettre en œuvre la recherche de reclassement y étant attachée. En cas d’impossibilité de reclassement, il pourra licencier le salarié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
  • Si le salarié n’a pas encore été déclaré apte ou inapte par le médecin du travail, l’employeur ne peut continuer la procédure de licenciement pour motif économique avant d’avoir eu l’avis définitif du médecin du travail.

Ainsi, il ne pourra pas proposer au salarié des postes en vertu de son obligation de reclassement tant que le salarié n’est pas définitivement fixé sur son aptitude à l’issue du second examen médical (Cass. Soc 14 décembre 2011 n°10-19.631). Il doit attendre les préconisations du médecin du travail ou les solliciter afin de procéder à une recherche sérieuse d’un poste (Cass. Soc 29 mai 2013 n°12-15.313).

Si à l’issue de la seconde visite médicale, le salarié est déclaré inapte ; l’employeur devra alors appliquer en priorité la procédure de licenciement pour inaptitude et procéder à une recherche de reclassement dans ce cadre.

Si, dans l’intervalle des deux visites médicales, l’employeur était en train de procéder à la recherche de reclassement dans le cadre du licenciement pour motif économique, il devra être vigilant à bien informer ses interlocuteurs et le salarié que la recherche s’inscrit dans ce cadre et notamment, si, le cas échéant, par la suite, il doit entamer une recherche de reclassement dans le cadre de l’inaptitude.

En revanche, si le salarié est déclaré apte, l’employeur peut reprendre la procédure de licenciement pour motif économique.

2) Articulation avec un licenciement pour motif disciplinaire

Le licenciement pour motif disciplinaire a pour cause une faute du salarié commise dans l’exercice de ses fonctions et justifiant la rupture de son contrat de travail. L’employeur doit mettre en œuvre la procédure disciplinaire dans un délai de 2 mois à compter des faits fautifs.

  • Si le salarié commet une faute alors qu’il est déclaré inapte par le médecin du travail, l’employeur peut le licencier pour les deux motifs.

Dans ce cas, il faut impérativement que les deux motifs aient pour origine des faits distincts, que les deux motifs soient inhérents à la personne du salarié et que les règles de procédure applicables à chaque motif aient été respectées (Cass. Soc 23 septembre 2003 n°01-41.478).

Autrement dit, l’employeur indiquera les deux motifs dans la lettre de licenciement tout en ayant respecté préalablement les spécificités de chaque procédure, par exemple la recherche de reclassement dans le cadre de l’inaptitude ou le délai de deux mois pour sanctionner les faits fautifs dans le cadre de la procédure disciplinaire.

  • Si le salarié commet une faute dans l’intervalle des deux visites médicales, l’employeur peut entamer la procédure de licenciement pour motif disciplinaire.
  • Si la seconde visite médicale a lieu et il est, d’ailleurs, conseillé d’attendre celle-ci avant de notifier un quelconque licenciement, l’employeur devra alors tenir compte de l’avis rendu par le médecin.

Comme précédemment, s’il est déclaré apte, il continue uniquement la procédure pour motif disciplinaire et s’il est déclaré inapte, il devra appliquer prioritairement la procédure pour inaptitude et procéder à une recherche de reclassement. Il pourra licencier pour les deux motifs, sous réserve de respecter les conditions susvisées.

3) Articulation avec une rupture conventionnelle

La rupture conventionnelle est une convention conclue d’un commun accord entre l’employeur et le salarié pour mettre fin au contrat de travail.

  • Dans l’intervalle des deux examens médicaux, la rupture conventionnelle n’est pas valable car elle aurait pour but de contourner le régime d’ordre public de l’inaptitude (Cour d’appel de Poitiers 28 mars 2012 n°10/02441).
  • Pour le salarié déclaré inapte à son poste de travail, aucune position jurisprudentielle n’a vu le jour.

Toutefois, au vu des récentes décisions de la Cour de cassation admettant la rupture conventionnelle pendant un arrêt pour accident du travail ou maladie professionnelle (Cass. Soc 30 septembre 2014 n°13-16.297) ou pendant un congé maternité (Cass. Soc 25 mars 2015 n°14-10.149), il semble probable que la Haute Juridiction se prononce en ce sens pour une rupture conventionnelle d’un salarié inapte, à la condition qu’il y ait absence de fraude et de vice du consentement.

En tout état de cause, en l’absence de position ferme, il est conseillé à l’employeur de privilégier la procédure d’inaptitude pour se séparer du salarié.

4) Articulation avec une démission

La démission est un acte unilatéral du salarié par lequel il manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.

  • Si le salarié est déclaré inapte, il est libre de démissionner,

Toutefois, l’employeur n’est pas déchargé de ses obligations. Il devra procéder à la recherche de reclassement jusqu’à la rupture effective du contrat de travail

  • De la même façon, entre l’intervalle des deux visites médicales, le salarié est aussi libre de démissionner.

Si le salarié effectue son préavis, l’employeur doit tout de même organiser la seconde visite médicale afférente à la procédure d’inaptitude et le cas échéant, procéder à la recherche de reclassement jusqu’à la rupture effective du contrat de travail.

5) Articulation avec une prise d’acte

La prise d’acte correspond à la rupture immédiate du contrat de travail par le salarié qui reproche un manquement à son employeur empêchant la poursuite de la relation contractuelle.

Le salarié saisit alors le Conseil de Prud’hommes pour que la prise d’acte soit prononcée aux torts de l’employeur. Selon la gravité du manquement, les juges feront produire à la prise d’acte soit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit les effets d’une démission.

A n’importe quelle étape de la procédure d’inaptitude, rien n’empêche le salarié à prendre acte de la rupture de son contrat.

Si on se situe dans l’intervalle des deux examens médicaux, l’employeur n’aura pas à organiser le second puisque le contrat est rompu immédiatement.

Par exemple, l’absence de recherche sérieuse d’un poste de reclassement, suite à l’inaptitude du salarié, justifie sa prise d’acte de la rupture.

Un point sur l’inaptitude à tout poste est à préciser lorsque l’employeur engage la procédure de licenciement pour inaptitude.

Si le salarié est déclaré inapte à tout poste lors de sa seconde visite médicale, l’employeur ne peut s’affranchir de son obligation de reclassement. Il doit rechercher les postes disponibles et impérativement solliciter le médecin du travail dans cette recherche (Cass. soc. 24-6-2015 no13-27.875 et Cass. soc. 15-12-2015 no 14-11.858).

En effet, le médecin devra confirmer l’impossibilité de reclassement et à partir de là, l’employeur pourra engager la procédure de licenciement pour inaptitude.

En conséquence, pour la plupart des modes de rupture du contrat de travail, l’employeur ne pourra se soustraire à ses obligations découlant de la procédure d’inaptitude et ne devra omettre aucune étape de la procédure.

L’employeur a tout intérêt à attendre que le médecin du travail se soit prononcé afin de mettre en œuvre la procédure adéquate.

Lucile DOUCHET                                                    Stéphane MORER