De l’intérêt de respecter les dispositions de la convention collective relative au forfait-jours au regard de son récent encadrement jurisprudentiel

Depuis quelques années, la conformité du dispositif français du forfait-jours à la Charte sociale européenne est régulièrement contestée par le Comité européen des droits sociaux (CEDS).

A l’origine, cette discussion afférente au forfait-jours a été portée devant le CEDS par la CFE – CGC.

Différentes décisions ont été rendues sur ce système de décompte du temps de travail.

La dernière, à l’initiative de la CGT, a été prononcée le 20 juin 2010 et publiée le 14 janvier 2011.

Le CEDS a considéré que la situation des salariés bénéficiant d’un forfait en jours sur l’année constituait une violation de l’article 2 paragraphe 1 de la Charte Sociale révisée, en raison de la durée excessive du travail hebdomadaire autorisé ainsi que de l’absence de garanties suffisantes en termes de suivi du temps de travail.

On pouvait craindre que cette décision sonne le glas des conventions de forfait-jours issus tant des lois AUBRY que de la loi du 20 août 2008 et visée dans la quasi-totalité des conventions collectives et notamment celle de l’immobilier.

Fort heureusement, la Cour de Cassation saisie parallèlement par un cadre autonome démissionnaire, qui réclamait le paiement d’heures supplémentaires, considérant que son employeur ne respectait pas les dispositifs de contrôle et de suivi prévus dans la convention collective qui lui est applicable, a rendu le 29 juin 2011, un arrêt consolidant le système du forfait-jours tout en l’encadrant.

La Cour de Cassation, au cours de l’année, a d’ailleurs été pour le moins active.

En effet, dans un arrêt du 3 novembre 2011, la Cour a pris position sur les sanctions encourues par un employeur qui ne respecterait pas précisément les critères fixés par sa convention collective permettant le recours au forfait-jours.

Au regard de la rédaction des articles 8 et 9 du Chapitre 2 de l’avenant n°20 du 29 novembre 2000 de la convention collective de l’immobilier, il appartiendra à l’employeur de bien définir le contour des tâches confiées au salarié recruté avant de rédiger son contrat de travail mais également d’assurer le suivi de ce forfait.

I/ LE REGIME MIS EN PLACE PAR LA CONVENTION COLLECTIVE DE L’IMMOBILIER

Ce dernier fixé par l’avenant n°20 de la convention collective de l’immobilier distingue, dans ses articles 8 et 9 du chapitre 2,  le forfait annuel sur la base d’une référence horaire et le forfait reposant sur un décompte annuel en journées.

La convention collective est censée définir les catégories professionnelles auxquelles le forfait s’applique et informer les parties des garanties offertes au salarié pour son suivi.

Il apparaît que cet avenant ne définit pas les catégories hiérarchiques des cadres relevant soit du forfait annuel en heures soit du forfait annuel en journées mais donne une définition générale des cas d’application pour chacun des deux forfaits.

L’article 8 indique « qu’il peut exister une catégorie de cadres dont le temps de travail est impossible à évaluer par avance compte tenu de la nature de leurs fonctions, de leur responsabilité, de leur degré d’autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps (forfait heures). »

L’article 9 énonce : « il existe une catégorie de cadres non soumis à l’horaire collectif de leur service (…) ou dont les horaires de la durée de travail ne peuvent être déterminés compte tenu de la nature de leur fonction, de leur responsabilité, de leur degré d’autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps. »

L’article 9 précise que « les décomptes annuels en journées concernent les cadres dont le rythme d’activité s’organise par relation directe avec la clientèle et ses exigences (…) et également les cadres mobiles. ».

Afin d’aider l’employeur à déterminer le forfait dont relèverait le salarié, les partenaires sociaux ont, au regard de ce qui précède, considéré utile de donner des exemples de fonctions se rattachant à l’un ou l’autre forfait.

Est soumis au forfait-jours un salarié attaché à la gestion d’ensembles immobiliers.

En revanche, est soumis au forfait annuel sur la base d’une référence horaire, le salarié attaché à une activité de gestion locative ou de gestion de copropriété.

Pourtant un salarié intervenant sur la gestion de copropriétés a bien une activité qui s’organise par relation directe avec la clientèle et ses exigences. Il est également tout de même assez fréquent de voir des assemblées générales de copropriétaires se tenir en fin d’après midi et se terminer, selon l’ordre du jour, en début ou en milieu de soirée.

Egalement, un salarié en raison de la charge de travail intervenant sur la gestion d’immeubles se verra affecter moins de clients que celui intervenant sur la gestion de copropriétés.

Rien n’interdit pourtant, en théorie, qu’au final la charge de travail soit la même pour chacun de ces salariés.

Il peut également arriver que l’employeur demande à un salarié attaché à la gestion locative de faire des démarches commerciales afin de rentrer des mandats. Tout dépend bien évidemment de la taille de l’entreprise, notamment en nombre de salariés et de son organisation interne.

Il y a bien là une activité de négociation commerciale qui pourtant ne permet pas d’intégrer ce cadre dans un forfait jour.

Il est donc vivement recommandé de définir précisément, et au préalable, les fonctions qui seront confiées au salarié avant de déterminer le forfait dont ce dernier relèverait.

Ce travail effectué, il restera à l’employeur d’assurer le suivi de forfait durant l’exécution du contrat de travail.

La Cour de Cassation recommande en premier lieu de se référer aux procédure de contrôle des garanties mis en place par la convention collective, pour rappeler qu’en cas d’imprécision de cette dernière, il appartient à l’employeur d’y pallier.

L’article 9 a l’avantage de définir précisément l’encadrement du suivi du forfait jour et les garanties données au salarié.

En effet, il dispose: « L’employeur et le cadre définiront en début d’année, ou deux fois par an si nécessaire, le calendrier prévisionnel de l’aménagement du temps de travail et de la prise des jours de repos sur l’année. Une fois par an ils établissent un bilan de la charge de travail de l’année écoulée (application du calendrier prévisionnel, organisation du travail, amplitude des journées d’activité).

Le nombre de journées ou demi-journées travaillées par ces personnels est déterminé dans le respect des dispositions légales en vigueur.

La réduction du temps de travail de ces salariés se fait obligatoirement sous forme de jours de repos ou de demi-journées. Ces modalités de réduction du temps de travail peuvent être complétées et améliorées par accord entre le salarié et son employeur.

A l’occasion de la prise de repos, les cadres concernés complètent un document récapitulant le nombre de jours travaillés et le nombre de journées ou demi-journées de repos prises.

La demi-journée s’entend comme le temps s’écoulant avant la pause prévue pour le déjeuner ou le temps s’écoulant après le déjeuner.

Ce document est conservé par l’employeur et tenu pendant trois ans à la disposition de l’inspection du travail. »

Il est bien évident que tous les dirigeants d’agences immobilières ne consacrent pas le temps nécessaire pour satisfaire à ce formalisme.

Il ne faudrait toutefois pas prendre à la légère ces différentes contraintes et leurs conséquences au regard du récent débat jurisprudentiel sur ces contraintes.

II / L’ENCADREMENT JURIDIQUE DU FORFAIT-JOURS

A titre liminaire, il semble utile de rappeler les règles de base à respecter.

Pour être applicable à un salarié, le forfait-jours doit être visé à la fois dans un accord collectif (convention collective, accord de branche, accord entreprise, accord établissement …), une convention individuelle écrite, signée par l’employeur et le salarié (contrat de travail, avenant).

Il n’est donc pas possible de prévoir dans un contrat de travail une clause relative au forfait-jours si aucun accord collectif ne l’envisage.

Egalement, la seule présence du forfait-jours dans un accord collectif ne serait pas opposable au salarié si l’employeur n’y a pas fait référence dans son contrat de travail.

Il faut également savoir que le forfait-jours, comme son nom l’indique, est un décompte du temps de travail en jours et non en heures.

Un employeur ne peut donc reprocher à un cadre, avec lequel il a convenu une convention de forfait-jours, de ne pas respecter les horaires de travail tels que mentionnés sur l’affichage obligatoire.

La seule limite existante est la notion de temps de repos obligatoire qui est de 11 heures par jour, le salarié pouvant donc avoir une amplitude maximale journalière de 13 heures de travail.

C’est d’ailleurs pour cette raison que des conditions de contrôle de l’application du forfait-jours, des modalités de suivi de l’organisation du temps de travail des salariés concernés ainsi que l’amplitude de leur journée d’activité et la charge de travail qui en résulte ont été mises en place par le législateur et/ou par les partenaires sociaux.

Il appartient donc à l’employeur de faire établir par son salarié un récapitulatif annuel du nombre de jours annuels travaillés, document qui doit être à la disposition de l’Inspecteur du Travail pendant trois ans (article D.3171-10 du Code du Travail) permettant ainsi de vérifier si les dispositions relatives au repos quotidien et hebdomadaire ont été respectées.

Le plus souvent, l’accord collectif ou, à défaut, le contrat de travail, met à la charge du salarié le soin d’établir lui même le récapitulatif des jours travaillés.

Il est toutefois recommandé à l’employeur, dans cette hypothèse d’auto-déclaration, d’établir un document type à la disposition du salarié spécifiant tous les renseignements à fournir.

La Cour de Cassation dans son arrêt du 29 juin 2011 a mis en œuvre un ensemble de normes se rapprochant des normes préconisées par les chartes sociales européennes.

Dans son arrêt, la Cour de Cassation considère que doit être examinée la validité du forfait-jours au regard des dispositions de la convention collective. En cas d’imprécision de cette dernière, et notamment en termes de garanties relatives au respect des durées maximales de travail, les juges devront s’intéresser à l’existence d’accords collectifs de niveaux différents complétant les imprécisions de la convention collective.

Son attention sera donc portée sur la mise en place des modalités de contrôle et de suivi exigées par le Code du Travail.

Il appartient donc à l’employeur d’établir un document faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi journées de repos et demi journées travaillées ainsi que le positionnement et la qualification des jours de repos en indiquant la nature précise de chacun d’eux ( RTT, congés payés, congés conventionnels..).

L’employeur ou le supérieur hiérarchique du salarié pourra, également, assurer un suivi régulier de l’organisation du travail de l’intéressé et de sa charge de travail.

Un entretien annuel doit être enfin organisé par l’employeur avec chaque salarié concerné portant sur la charge de travail du salarié, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que sur la rémunération du salarié.

Ces documents permettront au Juge, en cas de contentieux, de vérifier concrètement la conformité du système de forfait-jours au regard des principes de droit à la santé et au repos et de ceux relatifs à la sécurité et la santé du travailleur.

En dernier lieu, l’employeur devra vérifier si le forfait ne s’applique pas obligatoirement à tous les cadres et s’il peut également s’appliquer à des non cadres, comme le prévoit d’ailleurs la convention collective de l’immobilier.

Les critères d’application seront le degré d’autonomie dans l’organisation de son travail du salarié et l’impossibilité pour l’employeur de prédéterminer la durée du travail du salarié.

Il existe effectivement trois types de cadres tels qu’issus de la rédaction de la loi du 19 janvier 2000 :

  • les cadres au sens de la convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 4 mars 1947,
  • les cadres autonomes par opposition aux cadres soumis à l’horaire collectif et intégrés à un service et par distinction avec les cadres dirigeants,
  • les cadres dont la durée de temps de travail ne peut être pré déterminée du fait de la nature de leurs fonctions, des responsabilités qu’ils exercent et du degré d’autonomie dont ils bénéficient dans l’organisation de leur emploi du temps.

Les premiers seront soumis aux 35 heures, les derniers au forfait-jours.

La situation sera plus complexe pour l’employeur concernant les cadres autonomes qui, en raison de leurs fonctions, pourront être soumis soit aux 35 heures, soit au forfait en heures, soit au forfait-jours.

En conclusion, les employeurs soumis à la convention collective de l’immobilier devront être vigilants dans :

  • la rédaction de la fiche du poste relative à la fonction pour laquelle le salarié est recruté afin de déterminer plus précisément l’étendue des fonctions de ce dernier et de son autonomie ;
  • la rédaction de la clause durée du travail dans le contrat proposé au salarié ;
  • le suivi des documents qui devront être remplis conjointement avec le salarié et la tenue de l’entretien annuel obligatoire.

A défaut, les sanctions prononcées par le Conseil de Prud’hommes en cas de contestation de la convention de forfait peuvent être financièrement lourdes de conséquences.

III/ L’OFFICE DU JUGE EN CAS D’INVALIDITE DE LA CONVENTION DE FORFAIT JOUR

Dans un arrêt du 3 novembre 2011, la Cour de Cassation a déterminé le mode d’emploi des demandes qu’un salarié peut formuler devant un juge, afin d’obtenir la remise en cause de sa convention de forfait.

En l’espèce, un cadre relevant de la convention collective du SYNTEC avait conclu dans le cadre de son contrat de travail, une convention de forfait-jours alors qu’il bénéficiait d’un coefficient hiérarchique « position 2 ».

La convention collective SYNTEC prévoit que ce type de cadre ne peut bénéficier que d’un forfait annuel en heures ; seuls les cadres position 3 pouvant bénéficier d’un forfait-jours.

Le salarié avait alors demandé à bénéficier du coefficient hiérarchique « position 3 » pour pouvoir percevoir la même rémunération que ces derniers.

La Cour de Cassation ne l’a pas suivi dans son argumentaire par un raisonnement en trois temps :

  • Les juges doivent d’abord prendre en considération les critères fixés par la convention collective pour déterminer le coefficient qui lui est applicable, lui refusant ainsi de lui faire bénéficier d’un statut duquel il ne relève pas ;
  • Si les juges considèrent que le statut dont il relève réellement n’est pas susceptible de relever du régime du forfait jour, ils en invalideront l’application à ce salarié et considéreront qu’il relève des 35 heures stricto sensu ;
  • Enfin, les juges considèrent que la seule demande possible pour ce salarié, après avoir fourni des éléments suffisants, est le paiement des heures supplémentaires qu’il a effectuées.

Il résulte de cet arrêt qu’un salarié soumis à un forfait jour et travaillant en moyenne 10 heures par jour pourra, en cas de remise en cause de son forfait, demander à être payé des 3 heures supplémentaires qu’il effectue quotidiennement avec les taux de majoration adéquats.

On peut commencer à imaginer le coût pour l’entreprise subissant ce type de condamnation lorsqu’on sait que les demandes de paiement d’heures supplémentaires se prescrivent par 5 ans et que l’absence de réclamation d’un salarié pendant toute la durée de l’exécution de son contrat de travail n’est pas une cause d’exonération pour l’employeur.

Dans un arrêt du 31 janvier 2012, la Cour de Cassation confirme sa position en déclarant sans effet la convention individuelle de forfait au motif que ni l’accord de branche ni l’accord d’entreprise ne garantissent la protection de la santé et de la sécurité du salarié (et non parce que l’employeur a méconnu des stipulations conventionnelles conformes à ces exigences).

Il en ressort deux enseignements :

  • la non-conformité aux exigences posées par la Cour de cassation d’un accord collectif mettant en place le forfait-jours et la méconnaissance par l’employeur d’un accord collectif conforme à ces exigences appellent une sanction identique : la convention individuelle de forfait est privée effet ;
  • l’arrêt confirme que l’employeur soumis à un accord de branche « non conforme » peut purger l’irrégularité en appliquant un accord d’entreprise « conforme « (en revanche, le recours à une convention individuelle de forfait garantissant le respect de la santé et la sécurité du salarié serait inopérant). (Cass. Soc. 31 janvier 2012 n° 10-19.807 Mottet c/ MSSA commenté dans la revue d’actualité Francis Lefebvre).

Il est également fort probable que le salarié établisse ses calculs en divisant le salaire perçu par 151 heures 67.

Il en résultera un taux horaire sur lequel s’appliqueront les taux de majoration de 25 et 50 % peu importe que le salaire contractuel ait été fixé à un montant nettement supérieur au salaire minimum conventionnel.

Il restera alors à déterminer l’imputation des jours de RTT pris dans le décompte des heures supplémentaires afin de tenter de minorer le montant des condamnations à rappel d’heures supplémentaires.

Ce rappel d’heures supplémentaires entraînera nécessairement un rappel d’indemnités de congés payés.

On peut imaginer également, selon le cas d’espèce, une demande de condamnation complémentaire à une demande d’indemnité de 6 mois de salaires pour travail dissimulé.

En effet, le Code du Travail prévoit que l’absence de mention du temps de travail réellement effectué sur les bulletins de salaire, en ce comprises les heures supplémentaires, est constitutif de l’infraction de travail dissimulé et peut faire l’objet d’une condamnation à une indemnité égales à 6 mois de salaire en cas de rupture du contrat de travail.

Trois conditions sont nécessaires pour l’octroi de cette indemnité :

  • l’absence de mention des heures supplémentaires,
  • la rupture du contrat de travail,
  • l’élément intentionnel de l’employeur

Sur ce dernier point, la Cour de Cassation a considéré que cet élément intentionnel était constitué dès lors que l’employeur avait appliqué à un salarié un régime forfaitaire dont il ne relevait pas.

L’erreur possible de l’employeur n’était, sauf cas particulier, pas prise en considération.

Il ne faut pas oublier que les Conseillers Prud’homaux, et particulièrement les Conseillers salariés, sont très au fait de ces évolutions jurisprudentielles.

Ils commencent à acquérir de plus en plus souvent le réflexe, sur ce type de sujet, de demander au Conseil de l’employeur, durant sa plaidoirie de leur montrer si ce dernier est en possession de ces documents.

Les magistrats ne prennent également en considération que les documents signés par les salariés.

A défaut de pouvoir les leur présenter, ils entrent quasi automatiquement en voie de condamnation quelque soit l’argumentaire opposé.

Il est manifestement préférable de sacrifier quelques heures tout au long de l’année afin d’éviter des condamnations qui, en cas de carence, sont susceptibles de s’automatiser.

Stéphane MORER