La prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié

Au fil du temps, la loi et la jurisprudence ont ouvert les portes de différents modes de rupture du contrat de travail. La prise d’acte de la rupture du contrat de travail a fait l’objet d’une consécration jurisprudentielle à partir de 2003.

Qu’est-ce que la prise d’acte ? 

La prise d’acte de la rupture du contrat de travail consiste uniquement pour le salarié à imputer la rupture de son contrat de travail à l’employeur en raison d’un manquement suffisamment grave à ses obligations contractuelles.

Comment le salarié manifeste-t-il son intention de rompre ? 

La prise d’acte n’est soumise à aucun formalisme (Cass. Soc 4 avril 2007) mais pour des raisons de preuve, l’écrit est fortement conseillé. L’écrit que le salarié ou son Conseil adresse directement à l’employeur par lequel il prend acte de la rupture de son contrat de travail ne fixe pas les limites du litige, contrairement à la lettre de licenciement et les juges examinent les manquements invoqués devant eux à l’appui de la prise d’acte (Cass. Soc 9 avril 2008).

Il n’est pas nécessaire que la mention « prise d’acte » apparaisse dans l’écrit. La lettre de démission avec réserves suffit.

Quels sont les critères de la prise d’acte ? 

Le manquement imputé à l’employeur doit être suffisamment grave et rendre impossible le maintien du contrat de travail (Cass. Soc 26 mars 2014).

Ainsi, les juges alignent le régime de la prise d’acte sur celui de la faute grave du salarié.

Le salarié doit prouver les manquements de son employeur et si un doute subsiste, il ne profite pas au salarié et les juges font produire à la prise d’acte les effets d’une démission (Cass. Soc 19 décembre 2007).

Le manquement de l’employeur peut recouvrir diverses hypothèses : la violation des obligations inhérentes au contrat de travail, la modification unilatérale du contrat de travail, les atteintes aux libertés individuelles et collectives.

Le manquement imputable à l’employeur ne sera pas justifié si le salarié ne rompt pas rapidement le contrat après la survenance des faits et reste en poste. Si la relation contractuelle se poursuit ultérieurement, les juges auront tendance à considérer que les faits imputés n’étaient pas suffisamment graves. Suite à son départ de l’entreprise, le salarié saisira le Conseil de Prud’hommes.

Quels sont les faits justifiant une prise d’acte ? 

Il a été jugé que l’employeur qui ne prend pas les mesures nécessaires pour faire cesser une situation de harcèlement comme un manquement suffisamment grave justifiant la prise d’acte de la rupture du contrat de travail du salarié harcelé  (Cass. Soc 8 juillet 2015 et Cass. Soc 25 septembre 2015). Dès lors, les juges doivent apprécier si les faits à l’origine du harcèlement empêchent la poursuite du contrat de travail (Cass. Soc 11 mars 2015).

La mise en œuvre abusive d’une clause de mobilité (Cass. Soc 20 octobre 2015) ou l’inexécution par l’employeur de son obligation de fixer les objectifs du salarié constituant la part variable de sa rémunération (Cass. Soc 19 novembre 2014) constituent notamment des manquements suffisamment graves empêchant la poursuite du contrat de travail

A l’inverse, des faits de discrimination syndicale remontant à plusieurs années n’avaient pas eu d’incidence sur la carrière de l’intéressé et n’avaient pas empêché la poursuite du contrat de travail (Cass. Soc 15 avril 2015).

L’absence de visite médicale d’embauche procédant d’une négligence de l’employeur (Cass. Soc 18 février 2015) ou encore la fouille du sac et du porte-monnaie d’une salarié, hôtesse de caisse pour qui il avait été constaté de nombreuses erreurs de caisses (Cass. Soc 13 mai 2014) ne constituent pas des manquements empêchant la poursuite du contrat de travail.

Ainsi, les juges construisent un nouveau régime de la prise d’acte encadré strictement par l’empêchement du maintien du salarié dans l’entreprise et ayant pour conséquence de limiter les hypothèses d’imputation de manquements à l’employeur.

Quels sont les effets de la prise d’acte ? 

La prise d’acte produit soit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul selon la situation ; soit les effets d’une démission si les faits reprochés à l’employeur ne sont pas justifiés (Cass. Soc 25 juin 2003)

La rupture du contrat de travail est immédiate et dès lors, le salarié n’a pas à effectuer son préavis. La date de la rupture du contrat de travail est fixée à la date à laquelle le salarié a fait connaître sa décision de prendre acte.

La prise d’acte de la rupture du contrat de travail ne peut être rétractée par le salarié (Cass. Soc 29 mai 2013) même si les deux parties ont donné leur accord.

Quelle est la procédure d’une prise d’acte ? 

Le salarié saisit le Conseil de Prud’hommes aux fins de faire constater la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur. Depuis la loi n°2014-743 du 1er juillet 2014, l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement du Conseil de Prud’hommes sans qu’il n’y ait nécessité de passer devant le bureau de conciliation (article L1451-1 du Code du travail). La formation de jugement statue dans le délai d’un mois suivant sa saisine.

La rupture étant consommée, les juges ne se prononcent pas sur la validité de la rupture mais sur ses effets. Pour se faire, ils apprécient les griefs invoqués par le salarié contre son employeur.

Quelles indemnités devra verser l’employeur ou le salarié ? 

Les indemnités de rupture allouées par les juges correspondent à l’effet donné à la prise d’acte.

Si la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié a droit aux indemnités de rupture (indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, indemnité de congés payés, indemnité compensatrice de congés payés) et à une indemnité correspondante au préjudice subi s’il a moins de deux ans d’ancienneté et/ou travaille dans une entreprise de moins de 11 salariés ; soit égale au minimum à 6 mois de salaire s’il a plus de deux ans d’ancienneté ou qu’il travaille dans une entreprise de plus de 11 salariés (articles L1235-3 et L1235-5 du Code du travail).

Le juge peut ordonner le remboursement par l’employeur indemnités de chômage perçues par le salarié dans la limite de six mois (article L1235-4 du Code du travail).

Si la prise d’acte produit les effets d’une démission et si le salarié n’a pas effectué son préavis en raison de la rupture immédiate du contrat, il doit verser une indemnité forfaitaire à l’employeur même si ce dernier n’a subi aucun préjudice (Cass. Soc 13 juin 2012) ; indemnité que l’employeur devra demander devant les juges.

Les documents de fin de contrat sont remis immédiatement au salarié. A défaut, il peut solliciter le juge des référés qui en ordonnera la remise (Cass. Soc 4 juin 2008).

Et pour le salarié protégé ? 

Le salarié protégé a la possibilité de demander la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail qui produira soit les effets d’un licenciement nul pour violation du statut protecteur, soit d’une démission.

Etant donné que la prise d’acte entraine la cessation immédiate du contrat de travail, il faut savoir que l’inspecteur du travail est incompétent pour délivrer une demande d’autorisation de licenciement (CE 17 décembre 2008).

Le salarié protégé a droit aux indemnités de rupture (indemnité de licenciement, indemnité de congés payés, indemnité compensatrice de congés payés), à une indemnité en fonction de son ancienneté et du nombre de salariés dans l’entreprise et à une indemnité réparant la violation du statut protecteur égale aux salaires qu’il aurait perçus jusqu’à la fin de la période de protection augmentée de six mois, dans la limite de deux ans (Cass. Soc 15 avril 2015).

Cette indemnité est versée quand bien même l’administration du travail saisie antérieurement à la prise d’acte du salarié a autorisé le licenciement prononcé ultérieurement à cette prise d’acte (Cass. Soc 12 novembre 2015).

Dans tous les cas, l’employeur devra vérifier si le contrat de travail du salarié mentionne une clause de non-concurrence pour, le cas échéant, la dénoncer à réception de la lettre de rupture du salarié.

Lucile DOUCHET                                                    Stéphane MORER