Optimisation fiscale : dissoudre une SCI avant la vente de son bien immobilier

Nous avions déjà promu les vertus de la SCI depuis l’avènement de la jurisprudence Quémener (1). Parler de défiscalisation reste politiquement incorrect, mais l’augmentation constante des prélèvements sociaux, la dissociation des délais de détention entre impôt sur le revenu et prélèvements sociaux avec un durcissement temporel pour le calcul de ces derniers (2), et enfin, l’instauration de la taxe sur les plus-values immobilières (3), ont fini de convaincre les contribuables même les plus vertueux que l’optimisation fiscale pourrait bien s’avérer être un service rendu aux finances publiques (4).

A la différence de la détention de l’immobilier en direct, la possession par l’intermédiaire d’une SCI présente la caractéristique de mettre en présence deux modes de calcul de la plus-value suivant la nature du bien vendu : la plus-value sur l’immeuble et la plus-value sur les parts. Si le bien a été loué et si le propriétaire le détient directement, il n’a pas la possibilité d’imputer sur la plus-value de cession les revenus fonciers sur lesquels il a antérieurement été imposé. A l’inverse, en cédant les parts d’une SCI, l’associé a la possibilité d’ajouter au prix de revient des parts les bénéfices fonciers antérieurement imposés à son nom. C’est une différence de traitement qui s’accommode mal avec le principe de l’égalité devant l’impôt mais qui résulte de la jurisprudence du Conseil d’Etat (5). Elle s’explique sans doute par l’écran que constitue la SCI avec son associé. Alors que le détenteur direct est censé avoir appréhendé les revenus fonciers, l’associé de la SCI peut très bien les avoir laissés en réserve. L’arrêt Quémener précise en effet que le prix de revient fiscal des parts correspond, d’une part, à leur prix d’acquisition majoré des bénéfices imposés et des déficits comblés par l’associé de la société de personnes et, d’autre part, diminué des bénéfices distribués et des déficits qu’il a déduits, sauf ceux trouvant leur origine dans une disposition conférant aux contribuables un avantage fiscal définitif.

Subordonner le substrat d’un « prix de revient fiscal » des parts à l’existence de réserves non distribuées ne convainc pas vraiment car il y aurait une différence de traitement suivant que la plus-value est professionnelle, auquel cas l’imposition antérieure servirait de fondement au prix de revient, ou privée, la capitalisation de réserves constituant ici le fondement du prix de revient. Or, en étendant le mécanisme correcteur de la jurisprudence Quémener aux plus-values privées (6), il ne semble pas que le Conseil d’Etat ait envisagé ici une différence de traitement.

Ce que permet en fait la jurisprudence Quémener et, dans son prolongement, la jurisprudence Baradé, c’est d’utiliser la plus-value sociale comme prix de revient supplémentaire pour la détermination de la plus-value personnelle de l’associé d’une SCI. La clé de l’optimisation résulte ici d’un ordonnancement précis des opérations dans une opération de vente immobilière.

I – La détermination de la plus-value

Le facteur temps apparaît comme le point de départ de l’analyse du cédant. Qui de la SCI ou de l’associé détient son bien depuis le plus longtemps ? Il est certain qu’en présence d’une SCI qui détient son bien depuis plus de 30 ans, la conclusion s’imposera d’elle-même. Inversement, une durée de détention des parts plus longue que la détention de l’actif par la SCI pourrait conduire à la solution inverse.

Dans le cas le plus courant où la SCI a été constituée pour l’acquisition de l’immeuble, la création d’une « plus-value » sociale par retrait de l’immeuble dans le patrimoine privé de l’associé est susceptible de créer un levier supplémentaire dans l’optimisation fiscale.

Un exemple simple permettra de mieux cerner l’enjeu. Soit une SCI créée en 2005 qui a acquis son immeuble pour 500 000 €. Celui-ci est susceptible d’être revendu en 2019 pour 1 M€. L’acquisition a été entièrement financée par emprunt, lequel a été remboursé grâce aux loyers.

Les bilans de départ et d’arrivée de la SCI se présentent comme suit :

Bilan de départ

Actif

Immeuble : 500 000 €

Passif

Dettes : 500 000 €

Bilan d'arrivée

Actif

Immeuble : 500 000 €

Passif

Réserves : 500 000 €

Si le bien est vendu par la SCI pour 1 M€, la plus-value est de 500 000 €. Si les parts sont vendues pour 1 M€, la plus-value est toujours de 500 000 €, les bénéfices fonciers antérieurs étant inclus dans le prix de revient. Jusque-là donc, les deux solutions sont équivalentes et obéissent à l’objectif de neutralité fiscale que défend la jurisprudence Quémener.

Mais la situation se présente différemment si la société est dissoute ou si un associé exerce son droit de retrait en se voyant attribuer l’immeuble. Dans ce cas en effet, le ou les associés sont susceptibles de réaliser une plus-value et une moins-value. Une plus-value sociale, dans notre exemple de 500 000 €, mise à la charge des associés ou de l’associé retrayant, et une moins-value sur les parts, également de 500 000 € car, par hypothèse, les associés ont souscrit leurs parts pour une valeur symbolique et la moins-value correspond à la différence entre le prix de revient des parts et la valeur de l’actif net qui revient à l’associé à la clôture de la liquidation ou au moment du retrait.

Cette possibilité de compensation est admise par l’administration en matière de plus-value professionnelle (7) et, dès lors que la jurisprudence Quémener a été étendue par le Conseil d’Etat aux plus-values privées, il est difficile de ne pas voir ici un effet d’aubaine. C’est en fait l’article 150 VD du CGI qui crée un butoir en n’autorisant pas l’imputation des moins-values immobilières sur les plus-values immobilières.

Mais cette imputation de la moins-value sur la plus-value est inhérente d’une part, à la jurisprudence Quémener, d’autre part, à la dissolution de la société. L’attribution de l’immeuble aux associés de la SCI est la résultante de la dissolution de la société et on ne peut voir dans cette opération une cession de parts, mais bien une annulation de parts, de sorte que la plus-value dégagée sur celles-ci se confond bien avec la plus-value dégagée sur l’immeuble possédé par la SCI.

C’est que qu’a jugé le Conseil d’Etat (CE – 8 novembre 2017 – n° 389990) :

« … pour le calcul de la plus-value réalisée par M. A…à la suite de la dissolution, le prix d’acquisition de ses parts dans la SCI Joluger, d’un montant de 114 960 euros, devait être majoré des quotes-parts lui revenant, d’une part, de la plus-value immobilière non imposable réalisée par cette SCI à l’occasion de la cession de la moitié des biens immobiliers qu’elle détenait, intervenue le 30 décembre 2003, d’un montant non contesté de 116 502,66 euros, et d’autre part de celle, d’un même montant, réalisée par cette même société à l’occasion de la sortie de son actif, consécutivement à sa dissolution, de l’autre moitié de ces mêmes biens immobiliers, soit un prix d’acquisition majoré s’élevant au total à 347 965,32 euros ». 

 Pour reprendre l’exemple ci-dessus, au moment de la dissolution de la SCI, il n’y aurait aucune plus-value imposable :

1 M€ (valeur de retrait de l’immeuble) – 500 000 € (valeur d’acquisition de l’immeuble) – 500 000 € (réserves déjà imposées).

De sorte que les associés, devenus propriétaires indivis de l’immeuble, pourraient ensuite vendre celui-ci pour 1 M€ sans acquitter aucune imposition sur la plus-value.

II – Analyse juridique et fiscale de l’opération :

L’analyse qui précède risque de déstabiliser bon nombre de praticiens et notamment les notaires chargés de liquider les droits d’enregistrement et l’imposition des plus-values à l’occasion d’une transaction immobilière.

Mais elle n’est pourtant démenti ni par la loi, ni par la doctrine administrative.

Revenons en effet à une chronologie usuelle : la SCI vend son bien, les fonds sont répartis entre les associés, puis la SCI est dissoute.

 Dans ce cas, la SCI verse, au service de la publicité foncière ou au service des impôts, l’impôt sur le revenu afférent à la plus-value dû au prorata des droits sociaux détenus par les associés présents à la date de la cession soumis à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des plus-values des particuliers. Elle verse également les prélèvements sociaux dus au prorata des droits sociaux détenus par ces mêmes associés.

La plus-value imposable lors de la cession d’un immeuble appartenant à une SCI est réalisée par cette société. La répartition entre les associés des parts composant le capital social de cette société, qu’elle soit issue du pacte social ou d’un acte ultérieur, est sans incidence sur la nature et le calcul de cette plus-value.

La doctrine indique ainsi que l’impôt acquitté par la société ou le groupement est libératoire de l’impôt sur le revenu afférent à la plus-value dû par les associés présents à la date de la cession de l’immeuble et dont la quote-part leur revenant est imposable dans la catégorie des plus-values des particuliers (CGI art. 150 VF, II) (BOI-RFPI-PVI-30-20 n° 100, 28-4-2014).

Cela signifie que la répartition des fonds entre les associés postérieurement à la cession de l’immeuble par la SCI, que ce soit dans le cadre d’une distribution de réserves ou à l’occasion de la dissolution de la société, n’est pas soumise à imposition.

Comment dès lors justifier qu’une inversion de la chronologie des opérations (dissolution de la SCI puis vente de l’immeuble) puisse donner lieu à une double imposition (sur les parts puis sur l’immeuble) ? Ce serait alors faire échec au principe de l’unicité fiscale propre au régime des sociétés de personnes.

Par ailleurs, si l’associé de la SCI est une entreprise, le prix de revient des parts détenues dans la SCI est majoré des résultats transmis par celle-ci conformément à la jurisprudence Quémener, sans qu’il y ait lieu de procéder à une double liquidation de l’impôt sur la plus-value afférente à la cession de son bien par la SCI filiale, puis lors de la dissolution de celle-ci.

Or, n’oublions pas qu’avant d’être étendue aux plus-values privées, la neutralisation de la double imposition concernait les plus-values professionnelles et c’est précisément pour unifier les deux régimes que la jurisprudence Quémener est intervenue.

Malgré les développements qui précèdent, nous ne négligeons pas l’idée que l’obsession de neutraliser toute imposition en dissolvant la SCI avant la vente de son bien peut aboutir à une bizarrerie fiscale.

En effet, tout notre raisonnement concerne une SCI de gestion qui a perçu des loyers sur lesquels les associés ont déjà été imposés, et l’idée sous-jacente est qu’ils ne doivent pas être imposés deux fois, une fois sur la plus-value sociale, une autre fois sur l’annulation des parts.

Mais quid des SCI composés d’associés qui ont autofinancé l’emprunt ? Ceux-ci n’ont perçu aucun loyer et n’ont été imposés sur rien ; corrélativement, ils n’ont rien déduit. Par leurs apports en compte courant, ils ont remboursé la banque et se sont en quelque sorte appropriés la dette de la SCI.

En incorporant leur créance au capital de la SCI, ils peuvent alors créer un prix de revient sur leurs parts qui devrait venir en déduction de la plus-value au moment de la dissolution de la SCI. Bien sûr, en évoquant la part de bénéfice du groupement revenant à l’associé, la jurisprudence Quémener a évidemment entendu circonscrire dans le prix de revient les seuls revenus encaissés par la SCI.

Mais n’oublions pas que les associés de SCI qui autofinancent le bien le font généralement sur des revenus déjà fiscalisés à l’impôt sur le revenu, de sorte que l’étanchéité des cédules d’imposition à l’impôt sur le revenu n’est pas d’une démonstration économique évidente.

Décidément, la jurisprudence Quémener n’a pas fini de faire parler d’elle.

  • La SCI est-elle un instrument de défiscalisation – R. Gaudet – Les Petites Affiches – n° 70 – 6 avril 2012
  • Pour les cessions réalisées depuis le 1er septembre 2014, dont les plus-values sont exonérées au-delà de 30 ans de détention.
  • Loi de finances rectificative n° 2012-1510 – 29 décembre 2012.
  • Trop d’impôt tue l’impôt ; les flux économiques le rétablissent.
  • CE – 16 février 2000 – n° 133296 – SA Ets Quémener – RJF 3/00 n° 334.
  • CE – 9 mars 2005 – Baradé – n° 248825.
  • BOI-BIC-PVMV-40-30-20 – n° 40