Risques psychosociaux et faute inexcusable de l’employeur

En matière de santé au travail, le 21ème siècle a débuté par la mise en place, pour l’employeur, d’une obligation de résultat renforcée afin de prévenir des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Le non-respect de cette obligation pouvait permettre de retenir la responsabilité de l’employeur et générer une indemnisation.

La Cour de Cassation a défini, de manière évolutive, la notion de faute inexcusable de l’employeur dont la preuve de la responsabilité dans l’imputabilité d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle devait être rapportée par le salarié.

De son côté, le législateur a obligé les employeurs à mettre en place un document unique de prévention des risques professionnels lui permettant d’appréhender les différents risques physiques que le salarié pouvait subir dans le cadre de l’exécution de ses fonctions.

A cette obligation de mise en place de ce document s’ajoutait une obligation de mise à jour annuelle.

Quelque soit la taille de l’entreprise, les salariés étaient, directement ou par l’intermédiaire des institutions représentatives, associés à l’établissement de ce document, leur avis devant être recueilli.

La simple omission ou mise à jour de ce document pouvait caractériser en tant que telle la faute inexcusable de l’employeur.

La seconde décennie du 21ème siècle sera marquée par l’intégration, dans cette obligation de résultat renforcée, des risques psychosociaux qui peuvent être reconnus par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie comme une maladie professionnelle.

Enfin nous verrons que cette obligation de prévention commence à dépasser ce seul cadre dans la mesure où la Cour de Cassation intègre cette notion de santé et de droit au repos aussi bien dans le cadre du contrôle de la validité des forfaits-jours mais également dans le cadre de la mise en place de plan de sauvegarde.

La notion de faute inexcusable

L’employeur doit prendre les mesures nécessaires permettant d’assurer la protection de la santé physique et mentale de ses salariés.

S’intègrent en premier plan, dans la notion de protection de la sécurité et de la santé mentale, les conséquences dues bien évidemment au harcèlement moral commis par l’employeur ou l’un de ses préposés.

Mais doivent être également prises en considération les agressions verbales ou physiques qui s’exercent par des clients ou des usagers pour certaines fonctions dans l’entreprise tels que les postes d’accueil et les secrétaires ainsi que le « burnout » qui se caractérise par un épuisement professionnel mais également le stress au travail.

Un état de stress se définit comme un déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui imposent son environnement et la perception de ses propres ressources pour y faire face.

Le stress au travail peut résulter d’une politique de surcharge, de pression ou d’objectifs inatteignables notamment par rapport à leurs échéances de réalisation.

Dans un arrêt du 8 novembre 2012, la Cour de Cassation a considéré qu’il y avait une faute inexcusable de l’employeur à l’égard d’un salarié ayant été victime d’un infarctus du myocarde.

Il a été retenu que l’employeur avait bien commis une faute à l’origine de l’infarctus du salarié dans la mesure où, d’une part il avait mis en place une politique de surcharge de travail et d’autre part n’avait pas utilement pris la mesure des conséquences de leur objectif de réduction de coût en terme de risque pour la santé de leurs employés.

En l’espèce, la société avait notamment précisé qu’elle n’avait pas eu connaissance de la part du salarié et de la médecine du travail de l’état de santé de celui-ci mais également que le salarié ne l’avait à aucun moment informé de l’existence des pressions qu’il subissait et des conséquences sur son état de santé.

La Cour de Cassation a considéré que la position hiérarchique du salarié le mettait dans une situation délicate pour s’opposer aux instructions de sa direction et que l’absence de réaction de ce dernier ne pouvait valoir quitus de l’attitude des dirigeants de l’entreprise.

Cette décision rappelle la définition de la faute inexcusable de l’employeur qui est établie lorsqu’il est prouvé qu’il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Même si dans le principe la faute inexcusable de l’employeur est retenue, dès lors qu’il est prouvé la faute intentionnelle à savoir un acte volontaire et intentionnel de l’employeur, la Cour de Cassation semble avoir atténué cette obligation probatoire en intégrant dans la définition de la faute inexcusable le fait que l’employeur aurait dû avoir connaissance des risques encourus par le salarié.

Dans un arrêt du 22 février 2007 ( GRUNER/ ALAIN),  la Cour d’Appel avait d’une part relevé que l’équilibre psychologique du salarié avait été gravement compromis à la suite de la dégradation continue des relations de travail et du comportement de l’employeur et a, en conséquence, considéré que ce dernier avait commis une faute inexcusable. Cette circonstance caractérisait le fait que l’employeur aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son subordonné et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Le 17 décembre 2009, le Tribunal des Affaires de la Sécurité Sociale de NANTERRE avait retenu la faute inexcusable de l’employeur dès lors qu’en l’espèce, le suicide de l’un de ses salariés résultait de la forte exigence de rentabilité reposant sur l’ensemble des cadres du fait de la nouvelle politique menée par le groupe.

La faute inexcusable est également retenue lorsqu’il apparaît qu’elle est une cause nécessaire à l’accident ou à la maladie professionnelle survenue au salarié.

Cette notion de cause nécessaire implique que l’employeur ne pourra s’exonérer de sa responsabilité qu’à condition de démontrer que l’accident ou la maladie professionnelle du salarié résulte uniquement de la faute de la victime ou d’un tiers.

En revanche l’employeur ne pourra s’exonérer de sa responsabilité qu’ en cas de faute de la victime ou d’un tiers dès l’instant que la faute de l’employeur a concouru à la survenance de l’accident ou de la maladie.

Dans un arrêt du 12 mai 2003 (LAPEYRONIE / SARL LES CHAUX DU PERIGORD et a.), la Cour de Cassation a précisé que l’imprudence de la victime n’exonérait en rien la responsabilité de l’employeur puisqu’il avait été constaté que celui-ci aurait dû avoir conscience du danger encouru et qu’il n’avait pris aucune mesure de protection appropriée.

Ainsi, un salarié en surcharge pondérale et se trouvant être fumeur, pourra faire retenir la faute inexcusable de l’employeur s’il est démontré que la surcharge de travail à laquelle il a été confronté est une des causes d’un accident cardio-vasculaire, peu importe que son état de santé global pouvait participer à ce dernier.

Il faut également prendre conscience que l’une des questions d’un juge au médecin contrôleur de la sécurité sociale est de savoir si l’accident ou la maladie du salarié peut avoir un lien, même partiel, avec l’activité professionnelle.

Au regard de cet état de la jurisprudence, l’employeur doit se protéger par une politique de mise en place de prévention des risques psychosociaux.

La prévention des risques

La prévention des risques commencera par la mise en place et la mise à jour du document unique de prévention des risques professionnels, permettant à l’employeur d’identifier les dangers, et d’en évaluer les risques afin d’être en mesure de déterminer les modalités d’exposition des salariés au danger.

Toutefois il ne devra pas se contenter de les identifier, il devra également procéder à des actions pour éliminer les risques à la source ou faire en sorte de les réduire.

A cet effet, le document unique de prévention des risques professionnels ne doit pas faire l’impasse sur les risques psychosociaux.

Cette partie sera subdivisée entre les risques liés à l’organisation du travail, à la nature de l’activité, ceux liés à des évènements significatifs, (plan social, restructuration, changement de direction, développement de l’entreprise) et ceux liés au mode de management, aux modalités de communication dans l’entreprise ou de règlement des conflits internes.

A défaut de pouvoir justifier de la réalisation d’une étude des risques psychosociaux, l’Inspection du Travail peut, lorsqu’elle en prend connaissance, considérer que ce document unique de prévention des risques, pourtant établi par l’employeur, est insuffisant et dans le meilleur des cas demander à ce qu’il soit refait.

L’employeur devra donc procéder à un inventaire des risques pour la santé mentale des salariés dans chaque unité de travail.

Ce document obligatoire n’est pas, au regard des jurisprudences susvisées, la seule obligation de l’employeur.

Il lui appartient de trouver et mettre en place et une organisation de travail trouvant un équilibre entre le développement de son activité et la compatibilité de la charge de travail donnée au salarié.

Il lui appartient également de veiller aux méthodes de management de ses cadres sur leurs propres subordonnés.

En effet, pendant des années, l’infraction de harcèlement moral était retenue dès lors qu’elle reposait sur des actes commis à l’encontre d’un individu. En revanche, dès lors que les actes étaient concentrés sur une collectivité de salariés dans le cadre d’un management, l’infraction n’était pas réalisée.

Cette époque semble être révolue puisque récemment la Cour de Cassation a considéré que la méthode de management ayant pour conséquence une dégradation des conditions de travail ou de l’état de santé de plusieurs salariés pouvait s’intégrer dans la définition du harcèlement moral.

Là encore la faute inexcusable de l’employeur peut être retenue lorsqu’il apparaît que ce dernier a eu connaissance du comportement de l’un de ses cadres à l’égard d’un ou plusieurs salariés et qu’il n’a pas réagi pour empêcher et mettre un terme à ce type de comportement.

Il est loisible également de procéder à des formations externes.

Il en existe sur la gestion du contact avec une clientèle désagréable ou agressive.

Il lui appartient également de veiller à ce que les salariés prennent leur temps de pose afin de justifier avoir satisfait à son obligation de repos et donc de santé de ses salariés.

Il importe donc que l’employeur mette non seulement en place un système de prévention des risques psychosociaux mais également assure un suivi des actions qu’il préconise pour d’une part éviter que ses salariés subissent de tels risques mais également être en mesure de s’exonérer de toute responsabilité en montrant que toutes les mesures ont été prises de son côté.

La Cour de Cassation a en effet considéré que la faute inexcusable ne pouvait être retenue à l’encontre d’un employeur dès lors que toutes les mesures de sécurité non seulement avaient été prises mais que le salarié avait été informé sur les règles de sécurité à respecter.

Quand l’obligation de sécurité renforcée dépasse la seule notion de faute inexcusable.

Depuis 2011 la Cour de Cassation fonde certaines de ses décisions sur la notion de santé au travail et de droit au repos pour affiner sa position ou étendre les obligations mises à la charge de l’employeur sur d’autres aspects du droit social.

Le premier exemple le plus marquant s’est porté sur le forfait-jours.

En effet, la Cour de Cassation a remis en cause les clauses relatives aux forfaits-jours de certains accords collectifs au motif que ces derniers n’assuraient pas les garanties nécessaires à la protection de la santé et au repos des salariés.

Nous avions pu voir dans un article précédent que cette remise en cause d’un forfait jour donnait la possibilité pour un salarié de le faire invalider et de solliciter le paiement d’heures supplémentaires pour toutes les heures effectuées au-delà des 35 heures hebdomadaires.

Récemment, la Cour d’Appel de PARIS a suspendu les opérations de réorganisation de la FNAC qui devaient conduire à la suppression de postes au motif que lesdites opérations de réorganisation pouvaient porter atteinte à la santé des salariés.

En effet, l’annulation du projet de réorganisation a été demandée au regard des risques psychosociaux pouvant en résulter pour les salariés dans la mesure où cette réorganisation n’affectait pas les seuls salariés perdant leur emploi mais également ceux qui devraient faire face à un changement de leurs conditions de travail du fait d’un transfert de charge de travail.

Dans un cadre beaucoup plus individuel, la Cour de Cassation, dans un arrêt du 17 octobre 2012, a considéré qu’un salarié pouvait prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur dans la mesure où ce dernier n’avait pas satisfait à son obligation de sécurité et de résultat en n’intervenant pas dans un conflit persistant entre deux de ses collaborateurs dont le salarié ayant rompu le contrat de travail est pourtant à l’origine.

En effet, l’employeur devra assumer l’obligation de permettre à ses salariés de travailler dans un climat serein et commet une faute l’employeur qui ne procède pas utilement à quelques démarches positives pour mettre un terme au conflit opposant les salariés.

L’inertie de l’employeur a été alors considérée comme étant à l’origine de la prolongation de la mésentente entre les salariés, ce qui caractériserait un manquement suffisamment grave.

En effet, il n’aurait pas satisfait à son obligation de prévention inhérente à l’obligation de sécurité.

Si l’évolution de la jurisprudence en la matière répond à une logique juridique indiscutable, les chefs d’entreprise devront veiller au maintien dans leur entreprise d’une ambiance sereine de travail et ce nouveau facteur de stress qui lui n’est pas indemnisable.

Stéphane MORER