EXPATRIATION FISCALE DES CHEFS D’ENTREPRISE – MODE D’EMPLOI

Richard GAUDET 

Avocat à la Cour de Paris
Cabinet Bayet & Associés

L’expatriation pour des motifs fiscaux est un phénomène qui séduit de plus en plus de grosses fortunes. La France, il est vrai, a le palmarès des impositions : impôt sur le revenu, prélèvements sociaux, droits de succession, impôt sur la fortune immobilière. Sans parler des charges sociales.

Si les plus gros contribuables sont généralement bien conseillés, il n’en va pas toujours de même des chefs d’entreprise qui sont en phase de constitution d’un patrimoine et qui pensent qu’en délocalisant leur entreprise, ils échapperont à l’impôt français, tant sur leurs bénéfices qu’à titre individuel.

Le présent article se propose d’offrir une synthèse des dispositions concernant le domicile fiscal des personnes morales et physiques, et de présenter la territorialité des impositions dans un contexte international.

I – LE DOMICILE FISCAL :

– Le domicile fiscal des personnes morales :


Il convient de faire une distinction quant aux règles applicables en matière de TVA et d’impôt sur les sociétés.

Au regard de la TVA, est considéré comme établi en France l’assujetti qui a en France le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel le service est fourni ou utilisé. Pour déterminer cette localisation, il existe plusieurs indices : siège statutaire, lieu de l’administration, lieu de réunion des dirigeants, etc… Le lieu du siège de l’activité économique est en définitive le lieu où sont adoptées les décisions essentielles (CJUE 28-6-2007 aff. 73/06 :  RJF 11/07 n° 1367). La présence d’une société « boîte aux lettres » ou « écran » ne saurait conférer à un lieu le statut de siège d’une activité économique d’un assujetti (BOI-TVA-CHAMP-20-50-10 n° 100 à 120).

En matière d’impôt sur les sociétés, l’article 209, I du CGI désigne le lieu d’exploitation des entreprises lequel détermine le lieu d’imposition. Ainsi, les sociétés étrangères sont imposables à l’IS français à raison des profits tirés de leurs exploitations en France.

Sont considérés comme constituant des établissements :

–  le siège de la direction d’une entreprise ;
–  une usine ou un atelier de fabrication ;
–  un bureau, un comptoir d’achat ou de vente ;
–  une succursale, un magasin, une agence ;
–  une mine, carrière ou tout autre lieu d’extraction de ressources naturelles ;
–  un chantier nécessitant des travaux importants, continus, de longue durée ainsi que la prise de décisions techniques par des responsables se trouvant sur ce chantier (D. adm. 4 H-1412 n° 9, 1-3-1995 ; BOI-IS-CHAMP-60-10-10 n° 120, 27-6-2014).

La logique de la territorialité de l’impôt sur les sociétés repose sur l’exploitation en France d’un établissement stable ou l’exercice d’un cycle commercial complet. En l’absence d’établissement ou de représentant permanent, les opérations réalisées en France par une société étrangère échappent à l’impôt sur les sociétés lorsqu’elles ne forment pas un ensemble qui caractérise l’exercice habituel d’une activité en France (D. adm. 4 H-1413 n° 52, 1-3-1995 ; BOI-IS-CHAMP-60-10-30 n° 220, 1-8-2018). Si le siège d’une société étrangère est bien située à l’étranger, comme son exploitation matérielle et humaine, elle n’est pas imposable en France.

Le lieu d’implantation d’une entreprise de services ou de commerce numérique est plus complexe et a conduit la France à mettre en place depuis 2019 une taxe temporaire sur les plus grandes entreprises du secteur numérique, lorsque le montant annuel des sommes encaissées en contrepartie des services taxables excède, lors de l’année civile précédant l’année d’imposition, les seuils cumulatifs suivants :

–  750 millions d’euros au titre des services fournis au niveau mondial,
–  et 25 millions d’euros au titre des services fournis en France.
Une attention accrue doit être apportée aux entreprises qui ne facturent que des prestations de services depuis l’étranger (cas d’une holding étrangère qui facture des prestations à ses filiales françaises par exemple). L’article 155 A du CGI prévoit en effet que les sommes perçues par une personne physique ou morale domiciliée hors de France, en contrepartie de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées en France, sont imposables en France au nom de ces dernières :

–  lorsque celles-ci contrôlent, directement ou indirectement, la personne qui perçoit la rémunération des services ;
–  ou lorsqu’elles n’établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale autre que la prestation de services ;
–  ou, en tout état de cause, lorsque la personne qui perçoit la rémunération des services est domiciliée ou établie dans un pays étranger où elle est soumise à un régime fiscal privilégié, c’est-à-dire en général dans un « paradis fiscal ».
En fait, nous nous apercevons qu’une stratégie de délocalisation de l’entreprise, du moins pour une PME, n’a d’intérêt pour ses associés et dirigeants que s’ils sont eux-mêmes délocalisés.


– Le domicile fiscal des dirigeants d’entreprise :


Le droit d’imposer n’est reconnu qu’aux Etats dont le contribuable est un résident. Aux termes de l’article 4 B, 1 du CGI, sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France :

–  les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ;
–  celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu’elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire, ainsi que certains dirigeants d’entreprises dont le siège est situé en France ;
–  celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques.

En principe, pour qu’un contribuable soit domicilié en France, il suffit que l’un des critères soit rempli. Par exemple, les contribuables qui ont en France le centre de leurs intérêts professionnels ou économiques sont censés y avoir leur domicile réel, même si d’importants séjours à l’étranger sont intervenus dans l’année. Un contribuable dont le foyer se trouve en France est regardé comme y étant domicilié, alors même que le centre de ses intérêts économiques est à l’étranger, le critère dominant étant celui du foyer et du lieu de séjour principal (Cass. com. 15-10-1996 n° 1456 P, Vital-Behard :  RJF 2/97 n° 180).

Critères d’ordre personnel :

Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal. Selon l’article 4 B, 1°-a du CGI, le foyer s’entend du lieu où le contribuable habite normalement et a le centre de ses intérêts familiaux. Le lieu de séjour principal du contribuable n’est pris en considération que s’il ne dispose pas de foyer en France.

A ainsi son foyer en France le contribuable qui exerce une activité professionnelle à l’étranger dès lors qu’il effectue des séjours réguliers en France où il réside chez sa concubine et leur fils sur lequel il exerce l’autorité parentale (CE 3e et 8e s.-s.27-1-2010 n° 319897, min. c/ Tounsi :  RJF 4/10 n° 310). Mais à l’inverse, un contribuable divorcé, qui travaille à l’étranger qui possède un appartement en France dans lequel il séjourne lors de ses congés et qui verse une pension alimentaire à ses deux enfants mineurs qui résident en France, est considéré comme vivant à l’étranger (CE 9e ch. 11-5-2022 n° 450692).

En règle générale, doivent être considérés comme ayant en France le lieu de leur séjour principal les contribuables qui y séjournent pendant plus de six mois au cours d’une année donnée, mais ceci n’est pas un critère absolu. Est ainsi domicilié en France le contribuable qui a résidé en France pendant une durée nettement supérieure à celle des séjours effectués dans différents pays (D. adm. 5 B-1121 n° 8, 1-9-1999 ; BOI-IR-CHAMP-10 n° 150, 28-7-2016).

Critères d’ordre professionnel :

En vertu de l’article 4 B, 1-b du CGI, doivent être considérées comme ayant leur domicile en France les personnes qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu’elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire. Pour les mandataires sociaux d’une société dont le siège social ou le siège de direction effective est situé en France, cette situation implique, en principe, l’exercice en France du mandat social. Le fait que les fonctions soient exercées gratuitement ne fait pas obstacle à une domiciliation en France (CE 10e et 9e s.-s. 26-5-2010 n° 296808).

Critères d’ordre économique :

Il convient de rechercher le lieu où le contribuable effectue ses principaux investissements. Ce peut être le lieu où le contribuable a le centre de ses activités professionnelles, ou d’où il tire la majeure partie de ses revenus.

Donc, dans le cas de pluralité d’activités ou de sources de revenus, le Conseil d’État considère que le centre des intérêts du contribuable se trouve dans le pays d’où l’intéressé tire la majeure partie de ses revenus.

Un contribuable qui dirige une société à l’étranger mais qui possède en France plusieurs appartements, y perçoit des revenus et y dispose d’un portefeuille d’actions, est considéré comme contribuable français (CE 8e et 9e s.-s. 17-3-1993 n° 85894).

En revanche, un contribuable de nationalité française qui consacre l’essentiel de son activité professionnelle à ses fonctions de gérant d’une société à responsabilité limitée étrangère, dans laquelle il possède 40 % du capital et dont il tire la majeure partie de ses revenus, est considéré comme ayant hors de France le centre de ses intérêts économiques (CE 8e s.-s. 11-3-1964 n° 60503 : Dupont 1964 p. 406 ; RO p. 47).

De ce qui précède, il s’infère que le contribuable qui a un foyer et qui envisage de se délocaliser doit entreprendre cette démarche pour toute la famille. Il doit éviter de séjourner en France plus de six mois et ne doit pas y exercer d’activité professionnelle. Les revenus éventuellement tirés de biens immobiliers ou de titres de sociétés doivent être sensiblement inférieurs à ceux perçus à l’étranger. Nous voyons donc que pour celui ou celle qui possède un important patrimoine générateur de revenus, l’expatriation peut emprunter une démarche liquidative.

II – IMPOSITIONS DUES PAR TYPOLOGIE DE REVENUS OU DE PATRIMOINE :

2.1 – Impôt sur le revenu :

2.1.1 – Traitements et salaires :

La plupart des conventions fiscales modèle OCDE prévoit que les revenus tirés d’une activité salariée sont imposables dans l’État où l’activité salariée est effectivement réalisée.

Il y a lieu de réserver le cas des salariés détachés à l’étranger qui peuvent bénéficier d’une exonération d’impôt sur le revenu en France sous certaines conditions.

 2.1.2 – Revenus fonciers :

Les personnes domiciliées à l’étranger sont soumises à l’impôt français pour les revenus des immeubles situés en France. L’impôt sur le revenu est calculé selon le barème progressif, mais l’impôt ne peut pas être inférieur à 20 % (dans une limite fixée à 29 315 € pour les revenus de 2024), et 30 % au-delà. Cette imposition minimale n’est pas applicable si le contribuable justifie qu’elle est supérieure à celle qui résulterait de la taxation en France de l’ensemble de ses revenus de sources française et étrangère.


2.1.3 – Bénéfices industriels et commerciaux et bénéfices non commerciaux :

En matière de bénéfices industriels et commerciaux (BIC), ce sont les règles de la territorialité de l’IS qui s’appliquent (voir supra). Par conséquent, si une entreprise individuelle ou une société de personnes soumise à l’IR est exploitée en France par un résident étranger, c’est l’impôt français qui s’applique.

2.1.4 – Dividendes :

Les dividendes payés par une société française à un non-résident fait l’objet d’une retenue à la source. Des exonérations sont prévues pour les dividendes versés à une société mère établie dans un État de l’Union européenne, en Islande, en Norvège ou au Liechtenstein. Certaines conventions internationales réduisent ou suppriment cette retenue. Pour les bénéficiaires personnes physiques, le taux de la retenue à la source est fixé à 12,8 %.

2.1.5 – Plus-values immobilières :

Sous réserve des conventions internationales, les plus-values immobilières réalisées par des personnes domiciliées hors de France supportent un prélèvement spécifique de 19 % ou 25 %.

Si la plupart des conventions fiscales donnent à la France le droit d’imposer les plus-values, ce n’est pas toujours le cas pour les cessions de parts de sociétés à prépondérance immobilière (exemple : SCI).

Les non-résidents bénéficient des mêmes exonérations que les résidents, hormis les exonérations relatives à la résidence principale. Une exonération est par ailleurs prévue en faveur des personnes qui ont transféré leur domicile fiscal à l’étranger et cèdent leur ancienne résidence principale française, mais sous condition de délai. En outre, une exonération est prévue en faveur des non-résidents qui cèdent un logement situé en France, à condition que le cédant ait été fiscalement domicilié en France pendant au moins 2 ans avant la cession et que la cession soit réalisée au plus tard le 31 décembre de la 10e année suivant celle du transfert par le cédant de son domicile fiscal hors de France.

Le taux du prélèvement est fixé à 19 % pour les personnes physiques auquel s’ajoutent les prélèvements sociaux à 17,2 %.


2.1.6 – Plus-values de cession de titres de sociétés :

Les non-résidents sont exonérées d’impôt sur les plus-values réalisées en France à l’occasion de la cession de parts ou d’actions de sociétés. Toutefois, s’ils ont détenus, directement ou indirectement, plus de 25 % des droits dans les bénéfices sociaux de la société à un moment quelconque au cours des 5 ans précédant la cession, ils demeurent soumis à un prélèvement de 12,8 %.

Par ailleurs, le transfert du domicile fiscal hors de France entraîne la taxation à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux des plus-values latentes, des créances trouvant leur origine dans une clause de complément de prix, et des plus-values en report d’imposition (exit-tax). Mais le contribuable peut bénéficier d’un sursis de paiement.

Ce sursis est automatique lorsque le contribuable s’installe dans un État de l’UE ou dans un autre État ayant conclu avec la France une convention d’assistance. Un dégrèvement est accordé dans quatre cas :

–  le contribuable se réinstalle en France ;
–  il donne ses parts ou actions ;
–  il est décédé ;
–  en ce qui concerne les plus-values latentes, à l’expiration d’un délai de 2 ans suivant la date du départ, ou de 5 ans pour les contribuables dont la valeur globale des parts ou actions excède 2,57 M€.


2.2 – Prélèvements sociaux :

Pour un non-résident, les contributions sociales s’appliquent aux revenus immobiliers et aux plus-values immobilières de source française. Depuis le 1er janvier 2019, les personnes affiliées à un régime obligatoire de sécurité sociale autre que français au sein d’un pays de l’EEE (Union européenne, Islande, Norvège, Liechtenstein) ou de la Suisse sont exonérées de CSG et de CRDS. Bien que le Royaume-Uni soit sorti de l’Union Européenne le 1er janvier 2021, les résidents britanniques continuent de bénéficier de cette exonération de CSG et CRDS. Ces revenus demeurent soumis à un prélèvement de solidarité au taux de 7,5%.


2.3 – Impôt sur la fortune immobilière (IFI) :

Les personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal en France sont imposables à l’IFI pour leurs biens immobiliers situés en France, ainsi que pour leurs parts ou actions de sociétés à hauteur de la fraction de leur valeur représentative de biens immobiliers situés en France.


2.4 – Droits de succession :

Lorsque la personne décédée était domiciliée en France, tous les biens meubles et immeubles sont imposables en France, même les parts de sociétés et immeubles situés à l’étranger.

Lorsque la personne décédée était domiciliée à l’étranger, deux situations peuvent se présenter :
–  l’héritier est domicilié en France au jour de la succession et l’a été pendant au moins 6 ans au cours des 10 dernières années : tous les biens meubles ou immeubles situés en France ou hors de France sont imposables en France ;
–  l’héritier est domicilié hors de France : seuls les biens français qu’il reçoit sont imposables en France.


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De ce qui précède, il apparaît que même en cas d’expatriation, il semble difficile d’échapper à l’impôt français, du moins pour les revenus de source française ou pour les biens situés en France.

Cependant, plusieurs remarques de bons sens et recommandations s’imposent. Quitter la France, oui, mais ce n’est pas un pied dedans un pied dehors. Il faut véritablement que le foyer d’habitation ou le lieu de séjour principal soit fixé à l’étranger. Si une entreprise est exploitée à l’étranger, elle doit y disposer d’une installation fixe d’affaires, ce qui ne lui interdit pas de développer une activité en France à condition de ne pas y posséder un établissement stable.
Si des facturations sont destinées aux filiales, elles doivent l’être par la société holding étrangère. Enfin, il est souhaitable que les parts ou actions de la société française soit détenues par une holding étrangère car les dividendes distribués à une société mère établie dans un Etat de l’UE sont exonérés de retenue à la source.

De même, mais ceci n’est pas propre à la fiscalité internationale, la cession de titres d’une société française par une holding implantée dans l’UE s’opère pratiquement en exonération de plus-value.

 

Le 21 Septembre 2025

Richard GAUDET