Se vendre une entreprise à soi-même. Holding ou réduction de capital ?

Depuis le 1er janvier 2015, les plus-values résultant d’opérations de réduction de capital de sociétés de capitaux au profit de personnes physiques sont soumises au même régime que celles résultant de la vente de titres à un tiers.

Les abattements sont donc les mêmes que pour une opération de cession :

50 % si les titres sont détenus depuis au moins deux ans et moins de huit ans ;

  • 65 % au-delà de huit ans de détention.

 Dans certains cas, des abattements renforcés se substituent aux abattements de droit commun : titres souscrits ou acquis par leur détenteur dans les dix ans de la création de l’entreprise ; titres de PME cédés par les dirigeants partant à la retraite ; cession au sein du groupe familial. Les abattements deviennent alors les suivants :

 50 % pour une détention des titres comprise entre un et quatre ans ;

  • 65 % pour une détention comprise entre quatre et huit ans ;
  • 85 % pour une détention de plus de huit ans.

 Rappelons qu’il ne s’agit là que d’abattements applicables en matière d’impôt sur le revenu, les prélèvements sociaux ne bénéficiant quant à eux d’aucun abattement, contrairement aux plus-values immobilières.

 Mais il est évident que par rapport aux dividendes qui ne bénéficient d’aucun abattement, le régime des plus-values peut être extrêmement avantageux. Par exemple, un dirigeant de société qui a créé son entreprise et qui cède ses titres au-delà de huit ans supporte une taxation à 22,25 % de la plus-value réalisée si sa tranche d’imposition est de 45 % ; s’il perçoit des dividendes, son imposition passe à 42,50 % sans tenir compte du prix de revient des titres.

 Est-ce à dire que la création d’une société holding appelée à acquérir tout ou partie de la participation de l’associé est un montage qui ne présente plus d’intérêt (opération dite d’OBO ; owner by owner) ? Plus de cinq ans après l’arrêt Bourdon qui avait sécurisé ce type d’opération (1), le nouveau régime fiscal des réductions de capital s’impose on ne peut plus nettement comme la tendance des opérations d’ingénierie patrimoniale sociétaire. Mais il existe en fait de multiples opportunités ou contraintes juridiques et fiscales qui peuvent faire pencher pour l’un ou l’autre choix.

Contraintes liées au montant des capitaux propres

Dans un montage de rachat de titres par le biais d’une société holding, la valorisation de l’entreprise est indépendante de sa surface financière. Ainsi, si l’entreprise vaut 10 M€, elle n’a pas besoin de 10 M€ de capitaux propres pour être rachetée. Les distributions de dividendes ou les remontées de management fees vers la holding devront bien égaler ce montant mais de façon progressive, en fonction de la durée du prêt contracté par la holding ou du crédit vendeur qui lui sera consenti.

 Rien de tel dans la réduction de capital. Pour comptabiliser l’opération, il est nécessaire qu’il existe les réserves correspondantes. La valeur nominale des titres rachetés et annulés par la société s’impute sur le compte « Capital » et le surplus sur les réserves (si toutefois la réduction de capital ne se traduit pas par une réduction de la valeur nominale des titres). La doctrine comptable semble admettre que lorsque les réserves ne sont pas suffisantes, l’excédent résultant de l’annulation des titres soit comptabilisé dans un compte « Report à nouveau débiteur » (2). Mais l’opération n’est pas exempte de toute critique sur le plan juridique. Une société de capitaux à responsabilité limitée ne peut en tout état de cause provoquer par la mise en place d’une opération patrimoniale une perte qui porterait le montant de ses capitaux propres à un montant inférieur à la moitié du capital social. Le risque serait donc qu’une faute de gestion soit reprochée aux dirigeants.

 Par conséquent, deux situations peuvent se présenter :

  •   Le dirigeant souhaite se voir racheter un nombre de titres qui n’obère pas les capitaux propres et surtout la trésorerie disponible : la réduction de capital moyennant un prix fixe est dans ce cas une opération adaptée.
  •   Le nombre de titres rachetés et/ou leur valeur vont nécessairement obérer les capitaux propres : il peut alors être payé par la société émettrice un prix fixe et un prix proportionnel aux chiffres d’affaires ou aux résultats d’exploitation réalisés sur plusieurs exercices, ce que la pratique dénomme la clause d’earn out, qui permet d’ailleurs d’échelonner l’imposition en bénéficiant sur les soldes de prix des mêmes abattements que ceux applicables sur la première fraction. Il s’agit également d’un moyen efficace d’atténuer, voire de supprimer la contribution sur les hauts revenus.

 Dans ce dernier cas, des garanties financières sont indispensables. Il faut donc définir les notions de trésorerie disponible et d’équilibre du bilan pour maîtriser les conséquences de la clause d’earn out.

Risques liés au montant de l’actif net

Certaines opérations de LBO ne se réalisent pas toujours au juste prix. Il en est ainsi lorsque la valeur faciale de l’entreprise est déconnectée de sa valeur réelle, par exemple parce que la personnalité de son dirigeant, facteur non monnayable, y occupe une place essentielle. Le risque peut d’ailleurs intervenir dans deux étapes : en cas d’apport de leurs titres à la holding par les actionnaires qui resteront en place dans l’opération de reprise ; au moment du rachat du solde des titres par la holding.

 Dans l’environnement normal du jeu de l’offre et de la demande, l’administration n’a pas vraiment matière à remettre en cause la volonté des parties, sauf à placer son argumentation sur la notion de risque excessif, notion à laquelle le Conseil d’Etat vient de mettre un sérieux coup de frein (3), considérant « qu’il n’appartient pas à l’administration, dans le cadre d’une gestion commerciale normale, de se prononcer sur l’opportunité des choix de gestion opérés par l’entreprise et notamment pas sur l’ampleur des risques pris par elle pour améliorer ses résultats ».

 Mais dans une vente à soi-même, une valeur d’actif est particulièrement examinée. Le risque repose non pas sur la cible mais sur la holding et le terrain d’attaque d’une sous-évaluation pour l’administration est l’article 38-2 du CGI. Ce texte définit le bénéfice net comme la différence entre les valeurs de l’actif net à la clôture et à l’ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l’impôt diminuée des suppléments d’apport des associés et augmentée des prélèvements effectués par ces derniers. L’actif net s’entend de l’excédent des valeurs d’actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions. Par conséquent, toute insuffisance de valeur à l’actif entraîne nécessairement au passif un bénéfice « fictif » d’égal montant.

 Dans la mesure où une réduction de capital doit trouver sa contrepartie exacte tant à l’actif qu’au passif, ce risque n’existe pas ou pour ainsi dire peu, même s’il est vrai que la fraction de titres annulés considérée comme trop fortement valorisée pourrait recevoir la qualification de revenus distribués et non de plus-value. En revanche, si la réduction de capital excède le montant des capitaux propres, l’administration retrouve alors la plénitude de son contrôle sur le passif qui est créé à cette occasion, contrôle très probablement étendu aux frais financiers induits par la création d’un fonds de roulement négatif. La constitution d’une holding de rachat devient alors l’option la plus raisonnable.

La déductibilité des intérêts d’emprunt

 Dans une opération de LBO ou d’OBO, les intérêts de l’emprunt contracté par la holding sont déductibles, sauf application de la théorie de l’acte anormal de gestion, notamment lorsque les titres de la cible ont été achetés trop chers par la holding. L’option pour le régime fiscal des groupes de sociétés visé à l’article 223 A du CGI permet en outre de consolider les résultats de la mère et de la fille et de faire ainsi supporter indirectement à cette dernière les frais financiers de la mère.

 Dans une réduction de capital financée par emprunt, il n’est pas du tout certain que les intérêts soient déductibles. La cour administrative d’appel de Versailles semble l’avoir admis (4)mais dans un contexte très particulier où la société emprunteuse avait un intérêt propre à réorganiser son actionnariat. La plupart des opérations de réduction de capital étant motivées par un intérêt propre des actionnaires ou associés, il est douteux que l’on puisse y concilier celui de la société, quoiqu’en la matière, la Conseil d’Etat ne refuse pas à considérer que l’intérêt des associés puisse être aussi celui de la société (5). Cela étant, une décision de réduction de capital est une décision des associés, non de la société et, de surcroît, l’administration ne peut contrôler l’opportunité d’une modalité de financement (6). Observons enfin qu’eu égard à la faiblesse des taux actuels, le critère de la déduction des frais financiers ne semble pas déterminant en comparaison de la complexité que revêt un montage de LBO.

L’entreprise invendable

Certaines entreprises trouvent difficilement preneur, soit parce qu’elles évoluent sur un marché en perte de vitesse, soit par manque de rentabilité, soit encore en raison de la personnalité du dirigeant essentielle dans la marche de l’exploitation et qui rend celle-ci intransmissible. Combien de cabinets de conseil ou d’offices de professions libérales sont ainsi appelés à disparaître chaque année.

 Pourtant, l’évaluation fiscale d’une entreprise peut être déconnectée de sa réalité économique. Pour l’évaluation de titres de sociétés non cotées ou d’entreprises individuelles, la Cour de cassation préconise de prendre en comparaison des cessions similaires intervenues à une date rapprochée. Mais en l’absence de transactions comparables, les méthodes de l’administration sont souvent validées par le juge : valeur patrimoniale, valeur de rentabilité, valeur financière de rendement ou de productivité, valeur mathématique.

 On aboutit ainsi à des situations ubuesques où une entreprise est valorisée après le décès de son dirigeant dans les mêmes conditions que si le de cujusen assumait encore l’exploitation. Tout au plus, pour la liquidation des droits de succession, l’article 764 A du CGI ouvre-t-il la porte à une décote sans en préciser le chiffrage.

 Mais dans une vente à soi-même, cette situation n’a pas que des désavantages. L’utilisation des méthodes financières retenues par l’administration peut par exemple permettre au dirigeant d’une menuiserie mono clientèle d’être fortement valorisée, et dans le dessein d’une liquidation pure et simple de l’entreprise, en l’absence de repreneurs, il est parfois préférable d’envisager une réduction de capital bénéficiant des abattements examinés plus haut, avant d’envisager une liquidation amiable qui n’ouvre droit qu’à la fiscalité des dividendes sur le boni de liquidation.

La valorisation financière des titres en vue d’une future vente à un tiers

Les sorties de LBO ou d’OBO peuvent présenter un certain degré de complexité en cas de revente de titres de sociétés. Ce qui a financé la vente de l’entreprise à soi-même, à savoir le cash-flow tiré de la moelle substance, crée tout à la fois un prix de revient fiscal pour le calcul de la plus-value et un amoindrissement de la valeur des titres de la filiale qui fut en son temps rachetée. C’est pourquoi le dénouement de beaucoup d’opérations de LBO se concrétise par la fusion de la holding et de la cible, en quelque sorte pour remettre les compteurs à zéro.

Explication : prenons l’exemple d’une holding qui a racheté les titres d’une société pour 1 M€. A l’actif de la holding, les titres figurent pour 1 M€ et lors de la revente ultérieure de la filiale, le prix de revient des titres pour le calcul de la plus-value est de 1 M€. Là, c’est la bonne nouvelle. Mais le produit de la vente reste ici bloqué dans la holding. Il peut alors être envisagé une réduction de capital de la holding, mais pour le bénéfice de l’abattement renforcé (voir supra), l’administration exige que tant la société holding que sa ou ses filiales doivent toutes respecter les conditions ouvrant droit audit abattement. Il est en particulier exigé que la holding et chacune de ses filiales ne soient pas issues d’une concentration, d’une restructuration, d’une extension ou d’une reprise d’activités préexistantes, ce qui fait dire au commentateur de la revue F. Lefèbvre que ce dispositif a pour effet d’exclure de l’abattement renforcé une large part des cessions de titres représentatifs de groupes de PME.

 Si une fusion est envisagée entre la holding et la filiale, encore faut-il que les capitaux propres de la seconde ne soient pas inférieurs à ceux de la première car les fusions entre sociétés liées étant réalisées en valeur comptable depuis la réforme comptable de 2004, il en résulte un mali de fusion, d’où une incidence négative sur la valorisation des titres.

 Rien de tel si la vente à soi-même a été réalisée sous forme d’une réduction de capital puisque le prix de cession des titres à la société émettrice correspond strictement à la valorisation comptable, sauf affectation de l’excédent dans un compte de report à nouveau débiteur (voir supra).

Préparer le passage en régime d’impôt sur le revenu

Les très petites entreprises peuvent avoir intérêt à choisir le régime de l’impôt sur le revenu, plutôt que celui de l’impôt sur les sociétés. Il en est ainsi lorsque l’exploitant envisage de vendre le fonds de commerce de la société pour un montant inférieur à 500 000 € et se placer ainsi sous le régime d’exonération totale ou partielle prévu par l’article 238 quindecies du CGI, le produit de la vente étant alors appréhendable directement par les associés nets d’impôt ou après exonération partielle. Mais l’existence de réserves importantes peut être un frein à ce changement de régime fiscal. Si l’article 221 bis du CGI aménage un régime d’atténuation conditionnelle des plus-values acquises sur les éléments d’actif, donc sur le fonds de commerce, il n’en est pas de même pour les réserves qui deviennent alors imposables entre les mains des associés.

 La réduction de capital préalable au changement de régime fiscal peut ainsi permettre de réserver un sort fiscal plus avantageux sur les réserves que le seul abattement de droit commun de 40 %.

L’existence d’emprunt dans la société cible ou l’importance des amortissements et provisions

Combien de montages de LBO ont échoué car l’importance des emprunts à venir pour le renouvellement du matériel de production n’avait pas été appréhendée. Que dire des entreprises qui sont confrontées à une politique d’amortissement et de provisions significatives ? Toutes ces circonstances diminuent d’autant le résultat net et les possibilités de remontées de dividendes ou de réserves vers la holding de reprise, ce qui se solde invariablement par des prêts faits par la filiale à la société mère. Comment les causer et n’y a t-il pas dès lors une confusion de patrimoine entre la fille et la mère ?

 Ici encore, rien de tel dans la réduction de capital. Celle-ci n’est pas subordonnée à l’existence d’un résultat net et la sortie de fonds directement sur l’exploitation n’encourt aucune critique autre que celle qui serait fondée sur des prélèvements jugés excessifs. Mais la réduction de capital, comme la vente directe des titres à un tiers, peut être encadrée par une clause de variation de prix susceptible d’ajuster les retraits aux possibilités financières réelles. C’est surtout la contrainte liée au montant des capitaux propres, afin de préserver une bonne cotation Banque de France ou auprès des fournisseurs (SFAC notamment), qui peut inciter à la solution d’une holding de reprise.

La société à prépondérance immobilière

 Aux termes de l’article 151 septies B du CGI, les plus-values immobilières à long terme réalisées depuis 2006 par les entreprises relevant de l’impôt sur le revenu (dans la catégorie des bénéfices industriels ou commerciaux, des bénéfices non commerciaux ou des bénéfices agricoles) peuvent bénéficier d’un abattement pour durée de détention. Ces plus-values sont ainsi imposées après application d’un abattement de 10 % par année de détention au-delà de la cinquième. Les plus-values réalisées sur des biens immobiliers détenus depuis plus de 15 ans sont donc totalement exonérées.

 L’abattement pour durée de détention sur certaines plus-values immobilières est susceptible de bénéficier aux seules entreprises relevant de l’impôt sur le revenu, qu’il s’agisse d’entreprises individuelles ou de sociétés de personnes (sociétés en nom collectif, sociétés civiles, sociétés en commandite simple, sociétés en participation, EURL, SARL de famille ou GIE). En revanche, sont hors du champ de la mesure les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés.

 Les plus-values éligibles à l’abattement sur les plus-values à long terme sont celles portant sur des actifs immobiliers affectés à l’exploitation d’activités commerciales, industrielles, artisanales, libérales ou agricoles.

 L’abattement pour durée de détention prévu à l’article 151 septies B du CGI est applicable aux plus-values à long terme soumises au régime des articles 39 duodecies à 39 quindecies du CGI. Les plus-values à long terme correspondent, d’une manière générale :

*  Aux plus-values provenant de la cession d’éléments non amortissables détenus depuis au moins deux ans ;

  • Aux plus-values provenant de la cession d’éléments amortissables détenus depuis au moins deux ans, pour la partie qui excède les amortissements fiscalement déduits pour l’assiette de l’impôt sur les bénéfices.

 Tous les biens immobiliers, hormis les terrains à bâtir, bâtis ou non bâtis qui sont affectés par l’entreprise à sa propre exploitation, sont éligibles à l’abattement quelle que soit leur nature : terres, terrains, bureaux, constructions, plantations, aménagements immobiliers ou améliorations foncières, etc. ainsi que les droits réels immobiliers inscrits à l’actif dès lors que ces biens ou droits sont affectés à l’exploitation.

 La condition d’affectation du bien à l’exploitation est appréciée à la date de la cession du bien immobilier. Cependant, lorsque l’élément immobilier inscrit à l’actif n’est plus affecté à l’exploitation à la date de la cession, l’administration admet de le considérer comme affecté à l’exploitation si cette condition était respectée à l’ouverture de l’exercice de cession.

 Lorsque l’entreprise a acquis, dans le cadre d’un contrat de crédit-bail immobilier, un immeuble d’exploitation et a inscrit cet immeuble à l’actif de son bilan à la date de la levée d’option ou au terme du contrat, l’administration admet que le point de départ du délai de détention de 15 ans corresponde à la date de souscription du contrat dès lors que l’immeuble en cause a bien été affecté à l’exploitation de manière continue depuis la signature du contrat de crédit-bail.

 Lorsque l’entreprise a cessé ou a changé d’activité, un nouveau délai de détention doit être décompté. En revanche, en l’absence de cessation ou de changement d’activité, les périodes d’affectation à l’exploitation peuvent se cumuler même lorsque, entre ces périodes, le bien a été utilisé comme immeuble de placement. Dans ce cas, le décompte du délai de détention s’effectue au prorata temporis d’affectation à l’exploitation.

 Il peut ainsi être intéressant, après avoir réalisé une réduction de capital, d’envisager un passage dans la transparence fiscale afin de procéder à une vente de l’immeuble affecté à l’exploitation. Mais, comme toujours dans un montage de défiscalisation, l’opération peut être requalifiée en abus de droit, notamment si la société issue de la transformation ou du changement de régime fiscal ne poursuit pas l’activité (7). Or, bien souvent, quand la vente de l’immeuble d’exploitation est envisagée, c’est parce que l’activité s’est arrêtée ou est sur le point de l’être. Par ailleurs, encore faut-il que l’immeuble une fois vendu continue d’avoir une affectation professionnelle. Telle ne serait pas le cas d’un immeuble que l’acquéreur destinerait à la démolition (8).

La réduction de capital des sociétés de personnes et la jurisprudence Quémener

La réduction de capital est une opération particulièrement adaptée à une société de personnes, notamment en cas de retrait d’associé. L’acquisition des parts de l’associé sortant par les autres associés demeure certes une option envisageable, mais la réduction de capital permet, elle, de mutualiser le coût de l’opération entre les associés demeurant dans le capital.

 Depuis l’arrêt du Conseil d’Etat du 16 février 2000 (9), nous savons qu’en cas de cession de parts d’une société de personnes, le prix de revient des parts comprend non seulement leur prix d’acquisition mais également la quote-part des bénéfices antérieurement imposés chez l’associé cédant. Corrélativement, les déficits déduits par l’associé réduisent le prix d’acquisition. L’objectif de cette règle est d’éviter les doubles impositions comme les doubles déductions au titre de l’impôt sur le revenu. Elle a ensuite été étendue indifféremment aux associés professionnels comme aux associés non professionnels de sociétés de personnes, tels des associés de SCI (10), puis aux réductions de capital par retrait d’un associé pour déterminer le montant de la plus-value de l’associé retrayant (11). Et si le retrait de l’associé a été financé par emprunt, il a été jugé que le capital remboursé, non déductible, concourait aux résultats sociaux devant être pris en compte dans le prix de revient des parts (12).

Très souvent, dans les sociétés professionnelles, telles les sociétés civiles professionnelles, le retrait d’associé s’accompagne de l’attribution d’un élément d’actif à l’associé retrayant. Il en est ainsi notamment lorsque les associés ne s’entendent plus mais que l’associé sortant n’entend pas pour autant cesser son activité, sa clientèle lui étant attachée. Une telle opération est susceptible d’engendrer deux plus-values : une plus-value d’annulation sur les parts, pour laquelle le mécanisme correcteur de la jurisprudence Quémener est applicable, mais également une plus-value sociale sur la sortie d’actif qui est à la charge de tous les associés. Si l’imposition de cette plus-value sociale est mise à la charge de l’associé retrayant, celui-ci peut-il l’inclure dans le prix de revient de ses parts ? S’appuyant sur un jugement du tribunal administratif de Besançon qui a validé une modification du pacte social mettant à la charge de l’associé sortant l’imposition de la plus-value sociale (13), une partie de la doctrine semble l’admettre (14).

 Dans la négative, il est permis de s’interroger sur l’opportunité de l’option de la société de personnes pour le régime des sociétés de capitaux consécutivement à la perte de l’élément d’actif et sur une possible provision de cet élément d’actif, dès lors qu’il s’agirait par exemple d’une clientèle nettement individualisable sur la personne du praticien retrayant et que la disparition de cet élément d’actif s’accompagnerait d’une baisse du chiffre d’affaires et des résultats.

 Les opérations de réduction de capital présentent de multiples vertus : simples à mettre en œuvre, elles évitent les déconvenues inhérentes aux flux entre une holding et sa filiale, au regard notamment de la notion d’acte anormal de gestion. En diminuant les capitaux propres, elles valorisent l’entreprise dans le rapport entre le rendement attendu des capitaux investis et la rentabilité de l’exploitation dans des méthodes telles que celle de la valeur financière de rendement. Elles facilitent les retraits d’associés et même la vente future de l’entreprise en évitant de « vendre de l’argent ». A n’en pas douter, le meilleur traitement fiscal qui leur est réservé devrait voir se multiplier des opérations de ce type.

 Reste qu’une cession d’entreprise n’est pas qu’une simple sortie de trésorerie. La réduction de capital, si elle valorise les actifs, ne permet pas de les traduire en flux monétaires sauf à créer un déséquilibre important. Elle restera donc cantonnée à des objectifs limités, tels que des sorties d’actif, à un rééquilibrage du capital entre les associés ou encore à des opérations de « donation-cession » qui n’ont pas été abordées ici et qui permettent d’utiliser la trésorerie de l’entreprise pour préparer la transmission d’un patrimoine.

 Les vrais OBO sont des opérations beaucoup plus ambitieuses qui nécessitent un plan de financement précis sur un objectif à long terme. Qu’il s’agisse de préparer l’entrée d’un investisseur, d’un partenaire commercial ou de transmettre l’entreprise, ils nécessitent souvent l’appui d’un banque, circonstance qui, selon Claire Legras, rapporteur public dans l’arrêt Bourdonprécité, est de nature à sécuriser l’opération au regard de l’abus de droit car « l’opération ne se déroule pas en circuit fermé ».

                                                                                                                                                                                                      Richard GAUDET

                                                                                                                                                                                                     Avocat à la Cour

                                                                                                                                                                                                     Cabinet Bayet & Associés

  1. CE – 27 novembre 2011 – n° 320313 – M. et Mme Bourdon – Droit fiscal 2011 – n° 15 – comm. 304
  2. Avis CNC n° 2005 C du 4 mai 2005
  3. CE – 13 juillet 2016 – Sté Monté Paschi Banque – n° 375801
  4. CAA Versailles – 24 janvier 2012 – n° 10VE3601 – SAS Yoplait
  5. CE – 15 février 2016 – SNC Pharmacie Saint Gaudinoise – n° 376739 – RJF 2016 – n° 406
  6. CE – 30 décembre 2003 – n° 233894 – Andritz – RJF 2/04 – p. 83
  7. CE – 15 février 2016 – n° 374071 – SNC Distribution Leader Price – Droit fiscal 2016 – n° 17 – comm. 304).
  8. CE – 4 mai 2016 – n° 386773 – Mme Ducruet – Droit fiscal 2016 – n° 26 – comm. 389.
  9. n° 133296 – Quémener – RJF 3/00 – n° 334
  10. CE – 9 mars 2005 – n° 248825 – Baradé – RJF 6/05 – n° 564
  11. CE – 3 mai 2011 – n° 311338 – M. Brault – Droit fiscal 2011 – n° 39 – comm. 528
  12. CAA Douai sur renvoi – 30 mai 2013 – n° 11DA00720 – Brault – RJF 2013 – n° 1020
  13. TA Besançon – 27 mars 1997 – n° 94-912 et 95-52 – RJF 6/97 – n° 581
  14. Memento sociétés civiles – F. Lefèbvre – n° 15166