Sortir un immeuble d’une SCI soumise à l’IS

Le maintien des revenus fonciers sous le régime d’imposition progressif de l’impôt sur le revenu et leur taxation aux prélèvements sociaux, désormais de 17,2 %, ont conduit de nombreux contribuables possédant une SCI de gestion à opter pour le régime de l’impôt sur les sociétés.

Il est vrai que ce régime ne manque pas de charme. Outre la possibilité d’amortir l’actif, les frais d’acquisition (frais de notaire, commissions d’agence et droits d’enregistrement) sont déductibles. Les bénéfices sont taxés à 15 % jusqu’à 38 120 € et à 28 % au-delà, dans la limite de 500 000 €.

Et les distributions de dividendes aux associés peuvent bénéficier du régime de la flat-tax à 30 % (prélèvements sociaux compris), au lieu d’une imposition qui peut atteindre 62,20 % dans le régime de l’impôt sur le revenu.

Mais en cas de vente du bien par la SCI, c’est la double peine : les amortissements ont réduit le prix de revient du bien et l’assiette de la plus-value s’en trouve augmentée d’autant ; pour la partie de plus-value excédant 500 000 €, c’est le taux normal de l’IS qui s’applique à 33,33 % (1).

Et le solde des fonds distribués aux associés sont à nouveau imposés à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux. Une telle ponction aboutit en pratique à subir à la revente du bien celle que les associés ont voulu éviter pendant la phase de location.

La solution peut être de vendre les parts de la SCI plutôt que le bien lui-même, mais cette solution présente plusieurs obstacles pour l’acquéreur : difficulté pour financer l’achat de parts au lieu d’un immeuble ; impossibilité d’amortir le bien ; complication dans l’octroi des garanties à la banque.

Donc, sortir du régime de l’IS est d’une impérieuse nécessité préalablement à la vente de l’immeuble. Mais comment faire ? Car, il faut bien comprendre que l’option pour le régime de l’IS est irrévocable, quelles que soient les modifications apportées à la forme juridique de la société ou à son activité réelle.

La sortie de la nue-propriété de l’immeuble au profit des associés est une solution envisageable, mais le terrain est en friche ; aucune jurisprudence n’existe à notre connaissance sur cette question, aucune doctrine administrative non plus. Et c’est pourtant à l’aune de la doctrine administrative et de la doctrine juridique que se trouvent les éléments de réponse.

  • La loi de finances pour 2018 a toutefois prévu un allègement progressif du taux normal de l’IS qui descendra à 28 % en 2020, 26,5 % en 2021 et 25 % en 2022.

I – Description du schéma de sortie de l’immeuble :

Les associés de la SCI procèdent à une distribution de dividendes ou de réserves payée en nature, par remise de la nue-propriété de l’actif immobilier. Ils peuvent aussi, si le retrait de l’immeuble est envisagé au profit d’un ou de quelques associés, procéder à une réduction du capital social de la SCI et, même si les réserves ne sont pas suffisantes pour comptabiliser l’opération (la différence entre la valeur réelle des parts et leur valeur nominale s’imputant sur les réserves), il est possible de créer un compte de « report à nouveau débiteur ».

Selon le barème prévu par l’article 669 II du CGI, l’usufruit constitué pour une durée fixe est évalué à 23 % de la pleine propriété entière pour chaque période de 10 ans. Mais, l’usufruit consenti à une personne morale ne peut excéder 30 ans (art. 619 du Code civil).

Cependant, même sur une telle durée, l’appréhension de la nue-propriété peut se révéler onéreuse.

Exemple : soit un immeuble estimé à 1 M€.

  • Valeur de l’usufruit : 1 M€ x (23 % x 3) : 690 000 €
  • Valeur de la nue-propriété : 1 M€ – 690 000 € : 310 000 €.

Coût fiscal de la distribution pour les associés (hypothèse d’une option des associés pour le régime de la flat-tax) : 310 000 € x 30 % : 93 000 €.

Le barème de l’article 669 II du CGI ne s’applique toutefois qu’aux mutations titre gratuit (successions ou donations). Pour les mutations à titre onéreux (ventes, apports ou dividendes), il est possible d’utiliser un barème économique qui tient compte :

de la valeur du bien en plein propriété ;

  • de la durée de l’usufruit ;
  • de la rentabilité du bien.

Par exemple, si nous retenons une valeur du bien de 1 M€, une rentabilité de 5 % et un usufruit d’une durée de 30 ans, nous obtenons :

1                      =          0,23

(1 + 0,05) 30

Soit une valeur de nue-propriété de : 1 M€ x 0,23 = 230 000 €.

Et une imposition pour les associés limités à : 230 000 € x 30 % : 69 000 €.

Dans une deuxième étape, la SCI est dissoute et liquidée. L’usufruit disparaît et la pleine propriété de l’immeuble est reconstituée entre les mains des associés sans que cet évènement ne donne ouverture à un droit ou une taxe quelconque (art. 1133 du CGI). En effet, aux termes de l’article 617 du Code civil, l’usufruit s’éteint par la mort naturelle et par la mort civile de l’usufruitier et, selon une jurisprudence déjà très ancienne, l’usufruit s’éteint par la mort de l’usufruitier, quel que soit le temps pour lequel il a été stipulé (Cass. Civ. 18 juillet 1923 – D. 1931, 2 p. 75 ; Cass. Ch. réunies – 16 juin 1933 – DH 1933.393). Selon la doctrine, toute convention visant à faire durer le droit au-delà de la vie de l’usufruitier est nulle (Aubry et Rau – Tome II § 234 – n° 443 ; Planiol et Ripert – Tome 3).

II – Aspects fiscaux :

Dans notre exemple, nous pourrions penser qu’ayant acquis la nue-propriété du bien pour 230 000 €, c’est cette somme qui constitue le prix de revient de l’immeuble en cas de revente par les associés. En fait, il n’en est rien et la règle est même plutôt favorable aux contribuables. La doctrine administrative indique en effet qu’en cas de cession de la pleine propriété d’un immeuble après réunion de la nue-propriété (acquise à titre gratuit ou onéreux) et de l’usufruit par extinction au décès de l’usufruitier ou au terme de l’usufruit, le prix d’acquisition servant au calcul de la plus-value est égal à la somme des valeurs vénales de chacun des droits (donc la valeur de la pleine propriété) à la date d’entrée de la nue-propriété dans le patrimoine du vendeur, bien que la valeur d’acquisition de l’usufruit soit nulle (BOI-RFPI-PVI-20-10-20-10 – n° 220 et 350).

Au cas présent, le prix de revient de l’immeuble pour les associés ne sera donc pas de 230 000 € mais bien de 1 M€.

Cerise sur le gâteau : pour le calcul de la plus-value, le délai de détention se décomptera à partir de l’acquisition de la nue-propriété (BOI-RFPI-PVI-20-20 – n° 40) et non à partir de la réunion de l’usufruit à la nue-propriété.

III – Examen critique du montage présenté :

Le montage ici présenté soulève plusieurs questions, notamment quant à la façon dont l’administration fiscale pourrait appréhender l’opération.

  • Tout d’abord, l’administration pourrait-elle contester l’évaluation de l’usufruit et de la nue-propriété selon un barème économique et non selon le barème fiscal de l’article 669.II du CGI ?

Nous avons indiqué que l’utilisation du barème fiscal ne s’imposait que pour les mutations à titre gratuit, non pour les mutations à titre onéreux.

Une cour d’appel a ainsi retenu la responsabilité d’un notaire pour n’avoir pas signalé à ses clients qu’il existait plusieurs méthodes de valorisation d’un usufruit dans une transaction de gré à gré (2).

L’arrêt retient qu’il appartient au notaire de prouver qu’il a porté à la connaissance de ses clients les options ouvertes en matière d’évaluation de la valeur de l’usufruit.

D’une façon générale, le barème fiscal ne s’impose jamais aux parties qui peuvent convenir d’un autre système d’évaluation. Or, l’évaluation économique permet de prendre en compte l’âge exact de l’usufruitier (pour un usufruit viager), et la prise en compte du taux de rendement permet d’augmenter la valeur de l’usufruit par rapport au barème fiscal.

  • La SCI restée usufruitière de l’immeuble, peut-elle être considérée comme une société sans substance, de sorte que l’administration pourrait mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit visé à l’article L 64 du livre des procédures fiscales ?

Un avis du Comité de l’abus de droit fiscal du 21 août 2017 apporte une réponse négative, dès lors que la société soumise à l’IS possède un compte bancaire, dispose d’une trésorerie ou réalise des placements financiers (aff. n° 2016-11 – 21 août 2017).

Mais encore faut-il que la SCI perçoive des revenus. Si la SCI possède un immeuble non loué, l’exercice est assurément plus périlleux, d’autant qu’il faut alors déterminer la rentabilité du bien par le rapport existant entre une rentabilité locative supposée et la valeur vénale du bien. Il faut donc justifier le montage juridique par une volonté de parvenir à un objectif autre que fiscal, par exemple le souhait des associés de la SCI de donner la nue-propriété de l’immeuble à leurs enfants, tout en conservant l’usufruit au sein d’une structure assujettie à l’IS.

* CA Metz – 5 novembre 2015 – n° 15/00478.

En effet, dans une précédente affaire, le Comité avait pris soin de préciser que l’option pour l’IS n’est pas en elle-même constitutive d’un abus de droit, alors même que le régime d’imposition qui résulte de cette option est plus favorable au contribuable (aff. N° 2014-33 – 29 janvier 2015).

L’administration peut-elle remettre en cause la valorisation de l’usufruit acquis par voie d’extinction pour déterminer le prix de revient de l’immeuble en pleine propriété ?

Nous avons vu dans l’exemple précédent que l’intérêt de la liquidation de la SCI est de reconstituer entre les mains du nu propriétaire la valeur de la pleine propriété du bien, intérêt d’autant plus important que l’objectif est de créer un prix de revient conséquent préalablement à la vente, l’enchaînement des opérations ne permettant pas en lui-même de parvenir à des abattements pour durée de détention satisfaisants (3).

Pour éviter toute contestation avec l’administration au moment de la vente du bien, il paraît important de préciser pour quelle valeur a été acquise la nue-propriété et la façon dont celle-ci a été calculée, ce qui suppose d’indiquer dans l’acte distribuant la nue-propriété l’immeuble aux associés la valeur vénale du bien en pleine propriété.

En effet, l’administration indique que, lorsque l’acte ne mentionne aucun prix d’acquisition ou à défaut de valeur tenue pour la détermination des droits de mutation à titre gratuit, le prix d’acquisition s’entend de la valeur vénale à la date d’entrée dans le patrimoine du cédant d’après une déclaration détaillée et estimative des parties (BOI-RFPI-PVI-20-10-20-10 – n° 30).

Il est également important de conserver une documentation sur la valeur vénale en pleine propriété et sur la valeur économique de la nue-propriété car l’administration admet la production d’attestations d’experts.

Finalement, le sujet de querelle qui pourrait apparaître avec l’administration, outre celui de la valorisation du bien en pleine propriété, nous semble reposer sur la valorisation de l’usufruit lui-même. En effet, comment un usufruit qui avait été retenu pour une durée de 30 ans par la SCI à l’IS peut-il ne rien valoir au moment de sa transmission au nu propriétaire ?

Cela pose le problème de la comptabilisation de l’usufruit dans la SCI, usufruit qui, au cas présent, est retenu et non acquis. Curieusement, cette question n’est abordée ni par la doctrine comptable, ni par la doctrine fiscale, alors qu’elle revêt une importance non négligeable.

* Ces abattements ne s’appliquent en effet qu’au-delà de cinq années de détention. En matière d’impôt sur le revenu, ils sont de 6 % pour chaque année de détention de la cinquième à la vingt et unième année et de 4 % au terme de la vingt-deuxième année de détention. En matière de prélèvements sociaux, ils sont de 1,65 % de la cinquième à la vingt et unième année ; de 1,60 % pour la vingt deuxième année de détention et 9 % pour chaque année de détention au-delà de la vingt deuxième (art. 150 UV, I du CGI).

Exemple : un bien est valorisé en prix de revient à l’actif pour 10 M€ et il a été amorti pour 4 M€. Sa valeur nette comptable est de 6 M€. Sa nue-propriété est apportée à une autre société pour 2 M€.

Doit-on faire apparaître à l’actif l’usufruit retenu par la société pour 8 M€ (10 M€ – 2 M€) ou pour 4 M€ (6 M€ – 2 M€) ? Cet usufruit est-il même valorisable ?

Il est évident qu’au regard de la réévaluation du bilan, l’incidence n’est pas la même. Dans notre exemple, l’usufruit correspond à 80 % de la valeur du bien. En partant de la valeur brute, la plus-value imposable est de : (10 M€ x 80 %) – (6 M€ x 80 %) = 3,2 M€. En partant de la valeur nette, il n’y a pas d’incidence : 2 M€ de nue-propriété apportée ; 4 M€ d’usufruit conservé.

Selon la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, dans le cas d’une cession d’usufruit portant sur des actions, par exemple, la valeur comptable théorique de l’usufruit est déterminée par le rapport entre le prix de cession dudit usufruit et la valeur en pleine propriété des actions à la date de la cession, appliqué à la valeur comptable des actions cédées (4).

Si l’on s’en tient à cette interprétation, la liquidation de la SCI va générer un boni de liquidation de 4 M€ dans notre exemple et l’administration peut trouver à redire dès lors qu’il avait une valeur réelle de 8 M€.

Mais il convient de rappeler que les règles de comptabilisation diffèrent selon le bénéficiaire de l’usufruit. On ne peut en effet appliquer à un associé, relevant des plus-values des particuliers, des critères de comptabilisation propres aux bénéfices industriels et commerciaux.

En outre, même si pour reprendre notre exemple, l’usufruit retenu par la SCI devait être comptabilisé pour 8 M€, cet usufruit pourrait faire l’objet d’amortissements fiscalement déductibles sur sa durée, soit 266 667 € par an (8 M€/30 ans) (5), et le bilan de liquidation de la SCI comptabiliserait de toute façon une perte de l’usufruit. Celui-ci serait en tout état de cause transmis pour une valeur nulle aux associés et n’aurait plus de valeur comptable dans la SCI.

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Finalement, le montage présenté ne fait qu’inverser l’ordre des choses par rapport à ce que permettait l’état du droit avant l’introduction de l’article 13,5 du CGI par la loi de finances  n° 2012-1509 du 29 décembre 2012, codifié à l’article 13,5 du CGI.

Les investisseurs ne peuvent plus acquérir via une SCI à l’IS l’usufruit d’un immeuble, les notaires des vendeurs déconseillant à leurs clients l’imposition de la plus-value selon le régime d’imposition au taux progressif de l’IR dans la cédule d’imposition propres aux revenus procurés par le bien.

* Bulletin CNCC, n° 99, septembre 1995, p. 346 et suivants.

  • TA Paris – 06/07/2009 – n° 04-19716

Ainsi, la sortie de la nue-propriété du bien en valeur économique, si elle ne permet pas de rendre l’option à l’IS réversible, permet d’en atténuer considérablement les effets au moment de la vente de l’immeuble.

Richard GAUDET

Avocat à la Cour

Cabinet Bayet & Associés