Convention de présentation de clientèle et contrat de travail

La cession d’une clientèle d’administrateur de biens obéit à toutes les règles régissant la cession d’un fonds de commerce. Il en est de même en pour une convention de présentation de clientèle qui ne concerne qu’une partie de l’activité de syndic ou de gestion d’immeuble.

Il s’agit d’une convention par laquelle un administrateur de biens s’engage durant une période définie dans l’acte à présenter son successeur aux copropriétaires lors des assemblées générale ; ces derniers étant libre de donner mandat à ce successeur pour l’exercice à venir ou de choisir un autre syndic.

En contrepartie, le cédant perçoit une indemnité de clientèle qui peut être forfaitaire ou révisable au terme de la durée convenue, en fonction du nombre de copropriétés qui ont confié le mandat au successeur présenté.

Cette convention n’est bien sûr pas sans conséquence sur les contrats de travail des salariés attachés à l’activité ainsi cédée. Elle peut permettre au salarié de demander l’application des dispositions de l’article L1224-1 du code du travail, dispositions d’ordre public, ou d’en faire constater sa violation tant par le repreneur que par le cédant.

1) Sur la notion de transfert d’activité.

Est considéré comme un transfert, celui d’une entité économique maintenant son identité, entendue comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d’une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire.

Le transfert doit donc porter sur une entité économique organisée de manière stable, dont l’activité ne se borne pas à l’exécution d’un ouvrage déterminé. Cette notion renvoit à un ensemble organisé de personnes et d’éléments permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre.

Selon une jurisprudence constante, le critère décisif pour établir l’existence d’un transfert au sens de la directive est de savoir si l’entité en question garde son identité économique ce qui résulte notamment de la poursuite effective de l’exploitation ou de sa reprise.

Dans un arrêt du 23 septembre 1992, (SARL GCIA/ LEHMANN) la Cour de Cassation a considéré que le portefeuille d’une agence immobilière comprenant des mandats de gestion d’appartements de garages et de copropriété constitue une entité économique autonome, dont le transfert à une autre agence qui en poursuit l’exploitation donne lieu à l’application de l’Article L 1224-1 du Code du Travail. Dans cet arrêt la Cour a également constaté la fraude commise par le repreneur en relevant que, pour faire échec aux dispositions précitées, il a conclut avec le salarié repris un contrat à durée déterminée.

La Cour de Cassation précise dans son arrêt que « la Cour d’Appel a justifié ainsi sa décision de considérer la rupture décidée ultérieurement par l’employeur comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

En l’espèce, la convention de présentation de clientèle prévoyait le transfert de mandat de syndic d’une société à une autre, si tant est que cette dernière était agréée en Assemblée Générale des copropriétaires.

Dès lors que le « cédant » transfère une partie importante de ces mandats par ce biais, il est considéré comme ayant procédé à un transfert de moyens et d’éléments incorporels significatifs.

En effet, la Directive Européenne indique, que constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre. 

Dans l’espèce précitée, il existait bien une activité reprise, et la cession s’était accompagnée d’un transfert d’éléments incorporels.

A partir du moment où un élément incorporel significatif est transféré, il n’est nul besoin au sens de la définition de la notion d’entité économique que des éléments corporels soient également transférés.

La Cour de Justice des Communautés Européennes confirme cette interprétation puisque dans sa définition des critères du transfert d’activité, elle impose aux Juges de vérifier si l’activité transférée nécessite ou non des moyens corporels importants.

La CJCE indique que dans les secteurs où les éléments corporels contribuent de manière importante à l’exercice de l’activité, et qui, de ce fait, ne peuvent être considérés comme une activité reposant essentiellement sur la main d’œuvre, l’absence de transfert à un niveau significatif de l’ancien au nouvel exploitant de tels éléments indispensables au bon fonctionnement de l’entité doit conduire à considérer que cette dernière ne conservera pas son identité ( CJCE 25 janvier 2001).

Il en résulte donc qu’une simple mise à disposition des éléments d’actifs au cessionnaire peut suffire à réaliser le transfert d’une entité économique conservant son identité.

Lorsque le transfert de l’activité ne nécessite pas des moyens corporels importants, la notion de transfert d’une entité économique, et par voie de conséquence de contrat de travail, doit s’appliquer.

La gestion de ce type d’activité nécessite principalement le transfert de toutes les données administratives, comptables et financières des copropriétés qui ont accepté de confier un mandat de syndic au cessionnaire. Il est également transféré tous les mandats et tous les contrats conclus avec chaque copropriété dès lors que le « cessionnaire » est agréé par la copropriété.

Il y a donc bien, au sens de la CJCE, un transfert significatif d’éléments incorporels à l’occasion de la présentation de cette clientèle.

La Cour de Cassation a pour sa part considéré que le portefeuille d’une agence immobilière comprenant des mandats de gestion d’appartements et de garage et de copropriété constitue une entité économique autonome dont le transfert à une autre agence qui en poursuit l’exploitation donne lieu à l’application de l’Article L 1224-1 du Code du Travail.

Les parties à la convention ne peuvent échapper aux obligations nées des dispositions de l’article L 1224-1 du code du travail en arguant que le « cédant » ne fait que présenter au « cessionnaire » sa clientèle qui est libre de lui confier ou non un mandat et c’est ce que rappelle l’arrêt de la Cour de Cassation du 23 septembre 1992.

On ne peut davantage écarter ces dispositions d’ordre public en évoquant un transfert partiel d’activité. La Cour de Cassation, dans un arrêt du 31 mars 2010, a précisé que les salariés qui travaillent pour l’essentiel à l’activité cédée passent en totalité au service du nouvel employeur.

Si l’activité transférée, dans le cadre des conventions de présentation de clientèle, représente, par exemple, 80% de la charge du travail des salariés qui y sont affectés, il y a lieu de prévoir le transfert des contrats de travail de ces salariés au profit du « cessionnaire ».

Dans un cas où un concessionnaire automobile, qui représentait deux marques de véhicules, avait cédé l’une des concessions à un tiers, la Cour de Cassation a jugé que la secrétaire comptable dont le temps de travail était réparti à égalité sur chacune des concessions aurait dû voir son contrat transféré lors de cession partiel du fonds de commerce du concessionnaire.

Pour arrêter leur décision, les Juges vérifieront si :

  • l’activité cédée est bien d’une activité distincte des autres exercées par le « cédant », ayant un objectif propre et autonome tant dans sa gestion que dans sa comptabilisation dans les comptes de résultats ;
  • l’activité cédée bénéficie d’un ensemble organisé de moyens : comptabilité spécifique, ouverture de compte de copropriété, deux salariés affectés à cette activité, etc.

En outre, peu importe la dénomination de l’acte ; la convention de présentation de clientèle peut être requalifiée de cession partielle de fonds de commerce.

2) Sur la date du transfert des contrats de travail.

Si l’activité ainsi cédé donne lieu à application des dispositions de l’article L 1224-1 du code du travail, les parties doivent déterminer contractuellement la date à laquelle le transfert s’opère. S’agissant d’un contrat à exécution successive, il convient de déterminer la date à laquelle le transfert de la totalité de la clientèle relative à l’activité de Syndic est intervenu pour fixer la date du transfert du contrat de travail du ou des salarié(s).

A la lecture de ce type d’acte, il apparaît que le cédant s’engage, pendant la période de tenue des assemblées générales de copropriété à présenter le cessionnaire à l’ensemble des syndicats de copropriétaires comme étant son seul successeur et l’agréer comme un nouveau syndic.

Les parties peuvent trouver logique que le transfert ne soit opéré qu’au terme de la période de présentation prévue à l’acte dans la mesure où c’est à ce moment qu’elles seront en mesure de déterminer le nombre de mandats ainsi transférés.

Toutefois, en application de la jurisprudence de la Cour de Cassation, l’activité est considérée comme transférée dès le début d’exécution de la convention.

Si les parties organisent contractuellement la date du transfert ou s’en exonèrent au motif que les salariés attachés à cette activité continuent d’exercer leurs fonctions chez le cédant sur les mandats qui n’ont pas encore fait l’objet d’une présentation, elles doivent garder à l’esprit qu’en application de l’Article 3, Paragraphe 1 de la Directive 77/187 devenue Directive 2001/23, le transfert des contrats et des relations de travail a nécessairement lieu à la date du transfert de l’entreprise ou de l’activité et ne peut être reporté, au gré du cédant ou du cessionnaire, à une autre date.

Dans un arrêt du 26 mai 2005, la CJCE a précisé ce que l’on entend par la date du transfert de l’entreprise ou de l’activité en spécifiant que c’est à la date à laquelle le cessionnaire devient le représentant légal de la société ou de l’activité cédée.

Dès lors que le cédant ne peut plus intervenir sur l’activité de syndic en son nom et pour son propre compte à compter de la date d’effet de la convention, le cessionnaire a déjà la qualité de chef d’entreprise sur l’activité transférée et par conséquent sur les contrats de travail qui y sont attachés, peu importe l’accord intervenu entre cédant et cessionnaire pour reporter la date au terme de la période de présentation.

3) sur les conséquences d’une violation de l’article L 1224-1 du code du travail

Ainsi qu’il a été précisé, ces dispositions du code du travail sont d’ordre public. Il en résulte que ni le cédant ni le cessionnaire ni le salarié ne peuvent y échapper.

Ainsi un salarié qui refuserait de travailler pour son nouvel employeur, commettrait une faute qui autoriserait ce dernier à le licencier, licenciement pouvant aller jusqu’à la faute grave.

Un licenciement opéré par l’ancien employeur sera considéré, soit comme abusif, soit privé d’effet, dès lors qu’il sera démontré qu’il a été prononcé pour éluder l’application de l’article L 1224-1 du code du travail et en fonction de la date de rupture effective du contrat de travail.

Si la date de rupture effective du contrat intervient avant la cession, le licenciement sera déclaré sans cause réelle et sérieuse. En revanche si la date de rupture effective est concomitante ou postérieure à la date de cession, il sera privé d’effet.

Dans cette dernière hypothèse, le salarié bénéficiera de l’alternative suivante :

  • soit demander au repreneur la poursuite du contrat de travail illégalement rompu. Le salarié sera alors en droit d’obtenir le paiement des salaires qui auraient dû lui être versés entre son licenciement et sa réintégration puisque son contrat n’est censé ne jamais avoir été rompu;
  • soit demander des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à l’auteur du licenciement et/ou au repreneur et à condition que le repreneur n’ait pas proposé, avant la fin du son préavis, au salarié de le reprendre.

Dans l’hypothèse où le cédant procède à des licenciements peu avant la cession, il lui appartiendra d’être vigilant sur les motifs retenus et également sur les moyens de preuve afférents à ces motifs afin d’être en mesure de démontrer que la rupture des contrats de travail est étrangère au transfert de l’activité.

En revanche, il convient de rappeler au cédant, qu’en l’absence de tout licenciement, il n’a aucun document en rapport avec une rupture de contrat de travail (certificat de travail, attestation POLE EMPLOI, etc.) à remettre au salarié lors du transfert. Le contrat de travail étant transféré au cessionnaire, il se poursuit aux mêmes conditions chez le nouvel employeur.

A l’occasion de la cession d’un portefeuille de clientèle, la vigilance s’impose et il faut apprécier notamment l’importance de l’activité cédée ainsi que le taux d’occupation du salarié sur l’activité cédée afin de l’intégrer éventuellement dans les négociations.

Stéphane Morer