La clause de non-concurrence visée dans les conventions collectives

Les clauses de non concurrence visées dans certaines conventions collectives se trouvent prises en défaut par l’importante évolution jurisprudentielle depuis près de dix ans ; évolution jurisprudentielle afférente tant à la clause de non concurrence en elle même qu’aux différents modes de rupture du contrat de travail.

Il n’est donc pas inutile, avant d’insérer une clause de non concurrence dans un contrat ou de décider de son application ou de sa dénonciation au moment de la rupture de celui-ci, de vérifier l’adéquation de la clause visée dans la convention collective avec la position de la Cour Suprême afin de se préserver des conséquences financières qui pourraient résulter de sa remise en cause.

Certaines conventions collectives ont vu quelques unes de leurs dispositions privées d’effet à la suite d’un arrêt de la Cour de Cassation, avec comme conséquence des dommages-intérêts à verser par l’employeur.

La clause de non-concurrence visée par la convention collective de l’immobilier n’est pas exempte de chausse trappe et nécessite, pour l’employeur d’en compléter les termes dans le contrat de travail.

Il convient en effet de rappeler que la seule présence d’une clause de non concurrence dans la convention collective n’entraîne pas son application automatique.

Si l’employeur veut l’opposer à un salarié, il doit, comme pour la période d’essai, la mentionner dans le contrat.

Il est vrai que la présence d’une clause de non concurrence conventionnelle permet à l’employeur de se contenter de renvoyer le salarié aux dispositions de ladite convention.

Il reste nécessaire de vérifier dans quelle partie de la convention collective la clause est mentionnée et la manière dont elle est rédigée afin d’en déterminer la portée.

Ainsi, la clause de non concurrence visée dans la convention collective de l’immobilier n’a pas une portée générale et ne s’applique qu’aux seuls négociateurs.

L’employeur ne peut donc s’y reporter en toutes circonstances.

Après en avoir limité les contours, il conviendra de mettre en avant les précisions à  apporter dans sa rédaction contractuelle.

I/ L’ARTICLE 9 DE L’AVENANT N° 31 DU 15 JUIN 2006 DE LA CONVENTION COLLECTIVE DE L’IMMOBILIER

La clause de non concurrence n’est pas positionnée dans les dispositions générales de la convention collective mais dans l’avenant spécifique au statut de négociateur immobilier.

Dès lors, l’employeur  ne pourra contractuellement renvoyer le salarié à ces dispositions que s’il a le statut de négociateur immobilier.

S’il souhaite appliquer une clause de non-concurrence à tout autre salarié relevant d’un autre statut, l’employeur devra rédiger une clause spécifique, sans lien avec les dispositions de la convention collective.

En effet, dès son premier alinéa, l’article 9 de l’avenant n°31 précise : « le contrat de travail du négociateur immobilier peut contenir une clause de non concurrence après la cessation d’activité du négociateur ».

Les partenaires sociaux n’ont donc visé que ce statut, alors qu’il peut être de l’intérêt légitime de l’employeur d’appliquer une clause de non concurrence à certains autres emplois.

Il lui appartiendra donc de rédiger une clause conforme aux préconisations de la jurisprudence.

Le régime mis en place par la convention collective soulève d’autres questions relatives à ses modalités de dénonciation.

En effet, il y est précisé que l’employeur peut, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la rupture du contrat par l’employeur ou le salarié, renoncer à l’application de la clause de non concurrence emportant sa décision par écrit à la connaissance du salarié.

Il existe toutefois des modes de rupture, tels que le licenciement pour faute grave, où la notification de la rupture correspondra à la rupture effective du contrat de travail.

A la lecture de l’article 9, l’employeur conserve la possibilité de dénoncer l’application de cette clause alors que le salarié y est déjà soumis.

La Cour de Cassation accepte aujourd’hui la possibilité pour l’employeur de dénoncer l’application de cette clause postérieurement à la rupture effective du contrat, dès lors que le délai est fixé par contrat et qu’il s’agit d’un délai « raisonnable ».

Il convient de bien appréhender le point de départ de ce délai car toute dénonciation intervenue tardivement est privée d’effet et l’employeur est redevable du montant de l’indemnité pendant toute l’exécution de cette obligation.

En outre, la convention collective mentionne que le point de départ du délai est « la notification de la rupture » du contrat de travail.

Toutefois à l’époque de sa rédaction, il n’existait, comme mode de rupture, que la démission et le licenciement.

Aujourd’hui, le nombre de modes de rupture a augmenté du fait des évolutions légales et jurisprudentielles (rupture conventionnelle, prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur, résiliation judiciaire).

  1. Dans l’hypothèse de la rupture conventionnelle, il n’y a pas de notification à proprement parler de la rupture puisqu’il s’agit d’une convention conclue entre les parties.

Si l’employeur ne remplit que le formulaire de demande d’homologation, il devra, si le salarié le désire, décharger le salarié concomitamment de cette obligation par courrier séparé.

En revanche, si l’employeur, en plus, établit une convention de rupture, il  aura tout intérêt à prévoir un article spécifique à la dénonciation de cette clause.2. La prise d’acte de la rupture est, elle, toujours à l’initiative du salarié dont il impute la responsabilité à l’employeur.

2. L’employeur, à réception de la lettre de prise d’acte du salarié, aura alors quinze jours, s’il s’agit d’un négociateur immobilier, pour le décharger de son obligation de concurrence.

En revanche, il devra prendre sa décision à réception de la lettre de rupture si le salarié exerce d’autres fonctions.

3. Reste la difficulté de la résiliation judiciaire.

La résiliation judiciaire est sollicitée devant le Conseil de Prud’hommes par le salarié.

Au regard des éléments fournis par les parties, les premiers juges peuvent décider de débouter celui-ci de sa demande.

Dans cette hypothèse, il reste salarié de la société.

En revanche, si le Conseil de Prud’hommes donne raison au salarié et prononce la rupture aux torts de l’employeur, il convient alors de déterminer alors quelle date constitue la « notification de la rupture du contrat de travail ».

Nous pourrions penser que la notification de la rupture intervient au jour de la notification de la décision.

Rien n’est moins évident puisque la rupture du contrat est considérée comme prononcée en réalité à la date du jugement.

Cela nous amène à considérer, en cas de demande en résiliation judiciaire, que la notification de la rupture du contrat de travail intervient, non pas à date de réception de la décision, mais à la date de prononcé du jugement.

L’employeur a donc, pour un négociateur immobilier, quinze jours à compter du délibéré pour dénoncer la clause de non concurrence.

Enfin, le lecteur remarquera que l’article 9 de la convention collective ne fait pas état de la période d’essai.

Il en résulte que le négociateur immobilier peut bénéficier de l’application de cette clause et demander le versement des indemnités si son contrat de travail est rompu au cours de la période d’essai dès lors que cette situation n’est pas exclue dans le contrat de travail.

On ne voit guère l’intérêt pour l’employeur de verser une indemnité pendant toute la durée de l’application de cette clause, indemnité soumise à charges sociales et patronales, pour un salarié qui en raison de son inadaptation à l’exercice de ses fonctions a peu de risques de détourner de la clientèle.

Toutefois, si par souci de protection, l’employeur, au moment de l’embauche, ne souhaite pas écarter la possibilité d’appliquer cette clause en cas de rupture de la période d’essai, il devra garder à l’esprit son existence afin de prendre sa décision dans le délai de quinze jours.

La dernière difficulté posée par l’article 9 de l’avenant n°31 résulte de l’appréciation du délai de quinze jours.

Nous pourrions croire que l’employeur a la possibilité de dénoncer cette clause le quinzième jour suivant la notification de la rupture avant minuit.

Là encore, ce serait mal interpréter le texte de la convention collective.

En effet, il est précisé que « la lettre recommandée avec accusé de réception notifiant la décision de l’employeur de renoncer à la clause de non concurrence ou de la réduire doit être présentée au salarié avant l’expiration du délai de quinze jours sus mentionné. »

Le terme du délai n’est donc pas la date d’envoi de la lettre par l’employeur mais la date de première présentation par la poste.

En effet, la convention collective met comme condition à cette dénonciation une notification par courrier recommandé.

Toute dénonciation par lettre remise en main propre serait considérée par le Juge du fond comme privée d’effet.

Il est donc recommandé à l’employeur de notifier sa décision de dénoncer la clause de non concurrence non pas dans un délai de quinze jours mais dans un délai de dix à douze jours afin d’intégrer dans son décompte les week end et la rapidité des services postaux tant en raison de la distance que le courrier doit parcourir pour parvenir au salarié qu’en raison d’évènements que le chef d’entreprise ne maîtrise pas.

La Cour d’Appel de DOUAI, par un arrêt du 28 octobre 2011 a condamné un employeur à indemniser un salarié pour non respect du délai de convocation à un entretien préalable alors que cette convocation avait été égarée par la poste.

Il faut donc retenir que la clause de non-concurrence visée dans la convention collective de l’immobilier ne concerne que le négociateur immobilier.

Elle doit être reproduite sur le contrat de travail, étant précisé que dans le silence de la convention collective l’employeur devra fixer le montant de la contrepartie financière à verser au salarié.

L’employeur n’a, en réalité, qu’une dizaine de jours pour notifier sa décision sur la renonciation de cette clause au salarié.

Les autres salariés exerçant des fonctions dans l’activité immobilière seront soumis au régime général fixé par la jurisprudence de la Cour de Cassation depuis ces dix dernières années.

II / REGIME JURIPRUDENTIEL DE LA CLAUSE DE NON CONCURRENCE

Avant toutes choses, il convient de rappeler qu’une clause de non-concurrence doit être limitée dans le temps et dans l’espace, que l’employeur doit justifier d’un intérêt légitime à opposer au salarié.

Il est donc recommandé de ne pas l’appliquer à tous les salariés de l’entreprise dans la mesure où l’employeur aura du mal à justifier d’une nécessité de se protéger pour certains postes.

La clause doit être écrite dans le contrat de travail et prévoir l’ensemble des modalités d’application et de dénonciation.

A défaut, la clause sera réputée non-écrite ; le salarié n’y sera pas tenu mais pourra solliciter des dommages-intérêts.

L’employeur doit fixer le montant de l’indemnité sans faire de dissociation selon les modalités de rupture en ce compris le départ en retraite, sur le montant de l’indemnité.

En effet, dans un arrêt du 25 janvier 2012, la Cour de Cassation a confirmé que l’employeur ne pouvait dissocier les conditions d’ouverture de l’obligation de non-concurrence de celle de son indemnisation.

En stipulant une minoration de la contrepartie financière en cas de démission ou de départ en retraite, la clause est, là encore, réputée non écrite et ouvre droit pour le salarié à un recours en indemnisation supplémentaire.

Si l’employeur décide de ne voir appliquer cette clause qu’à certains cas de rupture, il devra apporter cette précision dans le contrat.

Egalement, la Cour de Cassation remet en cause la validité de ladite clause selon l’importance du montant de l’indemnité versée.

Les Juges ne se sont positionnés que sur la notion d’indemnité raisonnable ou déraisonnable.

Une clause de non concurrence prévoyant une contrepartie considérée comme déraisonnable est entachée de nullité et donc privée d’effet.

Ensuite, il faut bien évidemment mentionner la possibilité pour l’employeur de dénoncer cette clause ainsi que les modalités de dénonciation.

Dès lors que cette possibilité n’est pas prévue dans le contrat, l’employeur ne peut en aucun cas la dénoncer de son libre arbitre et reste redevable de l’indemnité.

Il faut garder à l’esprit que la clause de non-concurrence et ses modalités d’application est une clause qui nécessite l’accord du salarié.

Ce principe est à tel point établi, qu’en cas de signature d’un protocole transactionnel postérieur à la rupture du contrat de travail, la dénonciation de la clause devra être mentionnée spécifiquement dans le texte de l’accord si l’employeur a oublié d’y procéder.

A défaut, et même s’il est indiqué que le salarié renonce à toute instance et action sur la conclusion ou l’exécution ou la rupture du contrat de travail et n’a plus aucune réclamation de quelque nature que ce soit à formuler, il sera en droit de saisir le Conseil de Prud’hommes pour constater qu’il est toujours soumis à l’application de cette clause et demander le versement de l’indemnité ou à défaut des dommages-intérêts.

Il ne faut pas oublier que toute modification de la clause prévue dans le contrat de travail initial est considérée, non pas comme une modification des conditions de travail, mais comme une modification du contrat de travail.

Dès lors, le refus du salarié de voir modifiée ou insérée une clause de non concurrence à l’occasion d’un avenant, ne peut être considéré comme fautif et devenir un motif de licenciement.

A cet effet, une clause de non concurrence visée dans un contrat de travail antérieur à 2002 est devenue, en raison de l’évolution jurisprudentielle, illicite et ne pourra être modifiée pour être mise en conformité avec les critères jurisprudentiels qu’après obtention de l’accord du salarié.

Dans cette hypothèse, et à défaut d’acceptation du salarié de voir modifier sa clause de non concurrence, l’employeur se trouvera, avant même toute rupture, déjà dans une situation de contentieux relatif à la nullité de la clause avec comme épée de Damoclès, sa condamnation au versement de dommages-intérêts.

Dans la mesure où assez régulièrement les employeurs utilisent la même base de contrat au cours des années, cette situation se produit somme toute assez régulièrement.

La plupart des cas résulte, en général, au moment de l’établissement d’un avenant de l’absence de relecture du contrat d’origine ; l’employeur oubliant l’existence de cette clause ou ne pensant pas à en vérifier la régularité à la date de signature de l’avenant.

Le plus souvent également, le salarié accepte l’insertion dans l’avenant d’une clause modifiée ou nouvelle sans poser de véritables difficultés.

Toutefois, il appartient à l’employeur qui se voit opposer un refus du salarié, de s’organiser afin de tenter d’échapper à une éventuelle condamnation.

La solution pourra être d’interroger par écrit le salarié sur les raisons de son refus après lui avoir mentionné les motifs de la modification et se voir confirmer l’évolution jurisprudentielle relative au régime juridique de la clause de non-concurrence et à réception de sa réponse, si toutefois l’employeur en obtient une, de se positionner sur l’éventuel caractère illégitime de son refus.

Il semble toutefois préférable pour l’employeur de prendre des dispositions afin d’éviter avoir à gérer une telle situation en prenant les devants à chaque fois qu’il doit rédiger un contrat de travail.

Stéphane MORER