CRÉANCE IRRÉCOUVRABLE OU ABANDON DE CRÉANCE

CONTENTIEUX FISCAL – PERTE SUR CRÉANCE IRRÉCOUVRABLE DÉTENUE SUR UNE FILIALE ET ABANDON DE IRRÉCOUVRABLE

Richard Gaudet
Avocat à la Cour de Paris
Cabinet Bayet & Associés
 

Le cas est assez classique : une société détient une créance sur une filiale qu’elle décide de comptabiliser en perte à l’occasion de la liquidation amiable de cette dernière. Lors d’un contrôle fiscal, l’administration considère que cette perte n’est pas déductible, soit parce qu’elle ne revêt pas un caractère commercial, soit parce que les avances originairement consenties par la société mère relèvent d’un acte anormal de gestion. Ainsi, l’administration confond la notion de « perte sur créance irrécouvrable » et celle « d’abandon de créance ».

Petite explication. L’abandon de créance est la renonciation par une entreprise à exercer les droits que lui confère l’existence d’une créance. Il est considéré comme une perte et non comme une libéralité, lorsqu’il est consenti dans l’intérêt de l’entreprise créancière et que la créance figure à l’actif de cette dernière. La perte sur créance irrécouvrable procède d’une toute autre logique. Il ne s’agit ni d’un acte positif et unilatéral, mais d’un simple constat tiré de l’irrécouvrabilité de la créance liée à la liquidation de la filiale. Il n’y a donc pas lieu de rechercher la motivation qui a présidé aux avances de fonds de la société mère à sa filiale pour apprécier si la perte est déductible ou non. Mais l’administration s’obstine parfois à appliquer aux pertes sur créances irrécouvrables les règles propres aux abandons de créance, peut être en considération du fait qu’en dehors de toute procédure collective, et en votant la liquidation amiable de la filiale, la société mère a nécessairement participé en toute connaissance de cause à l’irrécouvrabilité de sa créance.

L’argument ne manque pas de panache et peut s’avérer redoutable. Rappelons en effet que la liquidation amiable d’une société impose l’apurement intégral du passif. La créance de la société mère figurant dans les dettes de sa filiale, l’effacement de cette dette en tout ou partie suppose nécessairement l’accord de la société mère car dans le cadre d’une liquidation, tout associé qui détient un compte courant est en droit d’en poursuivre le remboursement (Cass. Com – 5-3-1991 – SARL La Tour c/ Buisson – Bull. Joly 1991 p. 499). Mais en procédant de la sorte, la société mère va provoquer le dépôt de bilan de sa filiale et risque d’être touchée par la procédure collective, par exemple pour soutien abusif lié précisément aux avances en compte courant. Est-ce bien dans son intérêt de poursuivre sa filiale ?

En matière d’abandon de créance, la preuve du caractère normal de l’aide est apportée lorsqu’il est établi que celle-ci a été consentie dans l’intérêt de l’exploitation et trouve son fondement dans l’existence d’une contrepartie réelle et suffisante. Mais l’administration estime que l’entreprise qui consent l’abandon de créance ne peut en aucun cas se contenter d’invoquer les liens de droit qui l’unissent à la bénéficiaire, fût-elle une filiale, pour établir le caractère normal de l’acte de gestion. Or, seul les abandons de créance à caractère commercial sont déductibles ; les abandons de créance purement financiers ne le sont pas, sauf lorsque la filiale fait l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou liquidation judiciaire, d’une procédure de conciliation ou d’insolvabilité.

Cette position de l’administration pose un problème de droit mais également un problème de procédure dans la conduite du contentieux fiscal. Sur le principe, une perte sur créance irrécouvrable ne peut être justifiée tant que la procédure collective du débiteur n’est pas clôturée pour insuffisance d’actif (CE – 11/12/1987 – n° 46964). Ce qui vaut pour un débiteur placé en liquidation judiciaire vaut pour un débiteur faisant l’objet d’une liquidation amiable. Si la clôture de la liquidation de ce débiteur est intervenue, la perte est définitive et doit donc être déduite. Sur le plan procédural ensuite, il peut être tentant pour le contribuable et son conseil de porter l’affaire devant la commission départementale des impôts directs (CDI). Après tout, la saisine de la CDI suspend la mise en recouvrement de l’imposition et constitue un moyen de recours appréciable, cet organisme étant entre autre composé de représentants des contribuables. Mais le point de savoir si une perte liée à la disparition du débiteur de la créance constitue une « perte sur créance irrécouvrable » ou un « abandon de créance » pose une question de droit, non une question de fait. Or, la CDI est compétente pour se prononcer uniquement sur des questions de fait. Par conséquent, si la CDI s’estime incompétente, la procédure suivra son cours sans que le contribuable n’ait eu à supporter dans l’intervalle des intérêts de retard sur les sommes qui lui sont réclamées. Mais si la CDI s’estime compétente, déplace l’examen du dossier sur le terrain voulu par l’administration (c’est-à-dire notamment sur celui de l’abandon de créance financier non déductible) et donne raison à celle-ci, ce précédent est susceptible d’influencer le juge pour la suite du contentieux. Dans ce type de litige, l’opportunité de saisir la CDI doit donc être mûrement réfléchie.