Richard GAUDET
Avocat à la Cour de Paris
Cabinet Bayet & Associés
Selon la Confédération des PME, le vieillissement des dirigeants s’accélère et 25% d’entre eux
ont plus de 60 ans. Selon la même source, 700 000 entreprises seront à transmettre dans les 10
ans à venir.
La transmission d’entreprise reste donc un enjeu crucial mais l’approche des chefs d’entreprise
sur cette question est clairsemé. Ceux qui ont des enfants potentiellement repreneurs de
l’entreprise peuvent hésiter entre leur vendre l’entreprise ou la leur donner. Un mixte des deux
opérations peut être envisagé. Ceux qui n’ont pas d’héritiers directs peuvent choisir de la vendre
à des collaborateurs ou à des repreneurs extérieurs.
Hors cette dernière hypothèse, la donation est la solution la plus couramment envisagée. Il est
vrai qu’avec un dispositif tel que le Pacte Dutreil (art. 787 B du CGI), la valeur de l’entreprise
peut être divisée par quatre dans une transmission. Mais une donation reste une donation. Elle
peut rompre l’équilibre voulu entre les héritiers, être inconciliable avec la volonté du dirigeant
de rester aux commandes un certain temps et de s’assurer un complément de revenus (rappelons
par exemple que dans le régime Dutreil, la donation des parts ou actions en nue-propriété
n’autorise le donateur usufruitier qu’à voter sur l’affectation des bénéfices et sur rien d’autre).
La vente de l’entreprise à un ou plusieurs héritiers, ou à des collaborateurs, pose le problème
de son coût. Est-il vraiment judicieux d’endetter l’entreprise par des remontées de dividendes
vers une holding de reprise, surtout si le chef d’entreprise n’a pas un besoin impérieux de cash ?
Et que se passera-t-il si le repreneur n’est pas à la hauteur ?
La transmission d’une entreprise est une opération qui peut s’inscrire dans le temps. Il est tout
à fait possible de concilier performance de l’entreprise, compétence du repreneur pressenti et
transmission. C’est ce que permet la technique du dividende payé en actions. Explications.
I – PRESENTATION :
Toute société par actions peut proposer à ses associés de percevoir des dividendes sous la forme
d’actions nouvelles de la société émettrice.
Premier constat : cette possibilité ne concerne que les sociétés par actions (SA, SCA et SAS).
Si la société a la forme d’une SARL par exemple, il sera alors nécessaire de la transformer ou
de constituer une holding par apport des titres qui ait la forme d’une société par actions. Il peut
s’agir d’une société cotée ou non mais son capital doit être entièrement libéré. Le paiement du
dividende en actions n’est possible que s’il a été prévu par les statuts.
Dans les sociétés non cotées, le prix d’émission des actions est fixé au choix de la société, soit
à dire d’expert, soit en divisant les capitaux propres (capital et réserves) par le nombre d’actions
avant l’attribution des actions nouvelles.
Et c’est là que le procédé est intéressant car il n’est pas tenu de la plus-value latente (ou
Goodwill)sur l’actif d’exploitation. Par exemple, une société peut être évaluée à 5 M€ et n’avoir
que 1 M€ de réserves. C’est à partir de ce dernier montant que les actions nouvelles pourront
être émises et on comprend dès lors tout l’intérêt que peut avoir le repreneur pressenti à opter
pour le paiement de son dividende en actions nouvelles.
En revanche, si la société a des réserves importantes qui risquent de compliquer le processus de
transmission, il peut être utile pour le chef d’entreprise de constituer une holding par apport de
ses titres (en report d’imposition de plus-value) avant de procéder à une distribution massive de
réserves vers cette holding (sous un régime de quasi exonération ; voir infra), afin d’alléger la
filiale de cette trésorerie excédentaire selon le schéma suivant :
L’opération de paiement du dividende en actions se traduit par une augmentation de capital de
la société émettrice et par la remise des actions nouvelles au bénéficiaire.
II – FISCALITE DE L’OPERATION ET ARTICULATION AVEC LE REGIME DES
SOCIETES MERES ET FILIALES :
Comme les dividendes payés en numéraire, les dividendes payés en actions sont taxables à
l’impôtsur le revenu et aux prélèvementssociaux si leur bénéficiaire est une personne physique.
En revanche, si le bénéficiaire est une société de capitaux (soumise à l’impôt sur les sociétés)
qui détient au moins 5 % du capital de la société émettrice, les dividendes ne sont pas
imposables chez le bénéficiaire à l’exception d’une quote-part de frais et charges de 5 % (art.
145 et 216 du CGI).
Afin d’éviter que la société bénéficiaire ne soit structurellement déficitaire
au plan fiscal (les dividendes n’étant pas imposés à son niveau), il peut être utile que le successeur pressenti soit rémunéré dans cette dernière société et que celle-ci facture des
prestations à la filiale opérationnelle. Les 5 % du capital nécessaire à la mise de départ pourront
être donnés ou vendus (au besoin avec crédit vendeur) à la holding du repreneur.
Enfin, la distribution de dividendes payée en actions suppose que l’associé majoritaire perçoive
du numéraire. Si le chef d’entreprise ne souhaite pas être enfermé dans une politique de
distribution forcée, il pourra constituer de son côté sa propre holding qui percevra les dividendes
en numéraire en exonération d’IS, de sorte que le schéma organisationnel de départ se
présentera comme suit :
III – CAS PRATIQUE :
Prenons l’exemple d’une société dont la valeur réelle est de 4 M€ mais dont les capitaux propres
sont de 1 M€. Dans ces réserves figurent 500 000 € de trésorerie excédentaire que le dirigeant
a distribué à sa holding (Holding A) avant que celle du repreneur n’entre dans le capital pour 5
% (holding B). Il ne reste donc plus que 500 000 € de réserves. L’entreprise est en mesure de
distribuer chaque année 200 000 € de dividende correspondant à son résultat net (nous
supposons que d’éventuelles avances en compte courant de la holding du chef d’entreprise
permettent de soutenir les besoins de la trésorerie).
Enfin, postulat de départ : le capital est de 100 000 € divisé en 1 000 actions de 100 € chacune.
L’évolution de la participation de la holding du repreneur sera la suivante :
| Années | Nb actions A | Nb actions B | Dividendes | Valeur de l’action | Numéraire A | Actions B | Nouvelles actions | Actions A après | Actions B après |
|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
| 1 | 950 | 50 | 200 000 € | 500 000 € / 1000 : 500 € | 190 000 € | 10 000 € | 10 000 € / 500 € : 20 | 950 | 70 |
| 2 | 950 | 70 | 200 000 € | 500 000 € / 1020 : 490 € | 186 275 € | 13 725 € | 13 725 € / 490 € : 28 | 950 | 98 |
| 3 | 950 | 98 | 200 000 € | 500 000 € / 1048 : 477 € | 181 298 € | 18 702 € | 18 702 € / 477 € : 39 | 950 | 137 |
| 4 | 950 | 137 | 200 000 € | 500 000 € / 1087 : 460 € | 174 793 € | 25 207 € | 25 207 € / 460 € : 55 | 950 | 192 |
| 5 | 950 | 192 | 200 000 € | 500 000 € / 1142 : 438 € | 166 375 € | 33 625 € | 33 625 € / 438 € : 77 | 950 | 269 |
| 6 | 950 | 269 | 200 000 € | 500 000 € / 1219 : 410 € | 155 865 € | 44 135 € | 44 135 € / 410 € : 107 | 950 | 376 |
| 7 | 950 | 376 | 200 000 € | 500 000 € / 1326 : 377 € | 143 288 € | 56 712 € | 56 712 € / 377 € : 150 | 950 | 526 |
| 8 | 950 | 526 | 200 000 € | 500 000 € / 1476 : 339 € | 128 726 € | 71 274 € | 71 274 € / 339 € : 210 | 950 | 736 |
| 9 | 950 | 736 | 200 000 € | 500 000 € / 1686 : 296 € | 112 693 € | 87 307 € | 87 307 € / 296 € : 294 | 950 | 1030 |
| 10 | 950 | 1030 | 200 000 € | 500 000 € / 1980 : 252 € | 95 960 € | 104 040 € | 104 040 € / 252 € : 413 | 950 | 1443 |
| TOTAL : 1 535 273 € | |||||||||
Cet exemple montre qu’en l’espace de 10 ans, la majorité du capital de la société opérationnelle
peut changer de mains sans bourse déliée pour le repreneur. Du moins est-ce une image car
c’est bien la capacité de celui-ci à générer du bénéfice qui rend possible cette opération.
Toujours en prenant notre exemple, le dirigeant de l’entreprise a récupéré via sa holding plus
de 1 500 000 €. C’est moins que la valeur supposée de cession de l’entreprise à un tiers (4 M€)
mais c’est plus que sa valeur faciale (500 000 €).
Le mécanisme ainsi décrit peut être amplifié en créant des actions de préférence donnant droit
à un dividende supérieur à celui des autres actions. La seule limite est posée par l’article L
228.11 du Code de commerce qui prévoit que les actions de préférence ne peuvent représenter
plus de la moitié du capital dans les sociétés non cotées. Une attention particulière s’impose
lorsque l’associé de la société bénéficiaire du dividende payé en actions est un successible du
chef d’entreprise, afin d’éviter la requalification en donation indirecte. Notons toutefois que la
décision d’attribuer un dividende par remise d’actions nouvelles est prise par l’assemblée
générale des associés, ce que ces derniers sont libres d’accepter ou non, l’option pour un
paiement en numéraire restant une alternative possible.
En résumé le paiement des dividendes en actions permet de concilier plusieurs objectifs : allier
la performance de l’entreprise à la montée en capital du repreneur ; tester sur une période
significative la capacité de celui-ci à maintenir et à développer la rentabilité de l’entreprise ;
éviter une transmission financièrement coûteuse si les résultats ne sont pas au rendez-vous ;
éviter une donation rapportable à la succession du chef d’entreprise.
Le 24 Novembre 2025
Richard GAUDET