DONATION-PARTAGE TRANSGENERATIONNELLE ET SCI – PRESERVER LE PATRIMOINE FAMILIAL

Richard GAUDET 

Avocat à la Cour de Paris
Cabinet Bayet & Associés

 

Le vieillissement de la population et la transmission aux petits-enfants

Le vieillissement de la population conduit à des successions dans lesquelles les héritiers sont au moins quinquagénaires. Les enfants ont pu hériter d’un patrimoine par donation ou se sont constitués leur propre patrimoine, de sorte qu’ils n’ont pas de besoins financiers particuliers. Se pose alors la question de transmettre directement aux petits-enfants.

C’est là qu’intervient la donation-partage transgénérationnelle. La donation-partage transgénérationnelle est un mécanisme de transmission anticipée du patrimoine qui permet à un ascendant de répartir tout ou partie de ses biens non seulement entre ses enfants, mais également entre ses petits-enfants ou descendants de degrés différents. Cette institution, issue de la réforme du droit des successions opérée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, vise à offrir une plus grande souplesse dans l’organisation de la transmission familiale, tout en assurant la protection de la réserve héréditaire et la sécurité juridique des opérations de partage anticipé. Elle se distingue de la donation-partage classique par la possibilité d’allotir directement les descendants d’un degré subséquent, avec le consentement des enfants, et par ses effets sur la liquidation de la succession et la détermination des droits de chacun.

Le mécanisme spécifique de la donation-partage transgénérationnelle est précisé par l’article 1078-4 du Code civil, qui dispose :

« Lorsque l’ascendant procède à une donation-partage, ses enfants peuvent consentir à ce que leurs propres descendants y soient allotis en leur lieu et place, en tout ou partie. Les descendants d’un degré subséquent peuvent, dans le partage anticipé, être allotis séparément ou conjointement entre eux. »

Ce texte pose la règle fondamentale selon laquelle l’allotissement des descendants d’un degré subséquent (par exemple, les petits-enfants) requiert le consentement exprès de l’enfant qui renonce à tout ou partie de ses droits dans la donation-partage.

Par ailleurs, la donation-partage transgénérationnelle permet d’éviter une double mutation, c’est-à-dire une double transmission des biens (d’abord de l’ascendant à l’enfant, puis de l’enfant à ses propres descendants), ce qui présente un intérêt fiscal non négligeable.

Reste que la personnalité du donataire peut poser question. S’il s’agit d’un petit-enfant trentenaire, il est assez facile de deviner s’il fera bon usage du bien donné. C’est beaucoup moins évident pour un vingtenaire et encore moins s’il s’agit d’un mineur. Le mécanisme de la SCI peut permettre de protéger le patrimoine familial, dans l’intérêt même du donataire. Dans les développements qui suivent, il sera question de la donation d’une somme d’argent en vue de son réinvestissement.

I – LA DONATION-PARTAGE TRANSGENERATIONNELLE PORTANT SUR DES LIQUIDITES

Afin d’éviter que les fonds donnés ne soit dilapidés ou investis à mauvais escient, la donation-partage transgénérationnelle portant sur des liquidités peut être réalisée en nue-propriété, les grands-parents donateurs s’en réservant l’usufruit.

En effet, une donation-partage ne peut porter que sur des biens présents, ce qui inclut en principe les liquidités existantes au jour de l’acte. Toutefois, l’usufruit d’une somme d’argent n’est pas un usufruit ordinaire, mais un quasi-usufruit, en vertu duquel l’usufruitier a le droit de consommer la chose, à charge de restituer une somme équivalente à la fin de l’usufruit. C’est là la première protection des grands-parents donateurs qui ont le droit d’utiliser les fonds revenant à terme aux petits-enfants.

La seconde protection des donateurs est l’obligation faite au donataire de réinvestir les fonds dans le capital d’une SCI appelée à faire l’acquisition d’un bien immobilier. Cette donation avec charge est parfaitement valable et elle est même visée par l’article 790 A bis du CGI pour les donations de sommes d’argent en pleine propriété :

« Les dons de sommes d’argent consentis en pleine propriété à un enfant, un petit-enfant, un arrière-petit-enfant ou, à défaut d’une telle descendance, un neveu ou une nièce sont exonérés de droits de mutation à titre gratuit dans la double limite de 100 000 euros par un même donateur à un même donataire et de 300 000 euros par donataire si ces sommes sont affectées par ce dernier, au plus tard le dernier jour du sixième mois suivant le versement :

  1. A l’acquisition d’un immeuble acquis neuf ou en l’état futur d’achèvement ;
  2. A des travaux et des dépenses éligibles à la prime prévue au II de l’article 15 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 et réalisés en faveur de la rénovation énergétique du logement dont il est propriétaire et qu’il affecte à son habitation principale ».

Si le donataire est mineur, il faut simplement que la charge qui lui est imposée n’annihile pas l’avantage qui lui est procuré, comme l’a déjà rappelé la Cour de cassation (Chambre civile 1, du 25 avril 1967) :

« Manque de base légale la décision qui, pour déclarer que le père d’une mineure avait valablement consenti à la donation-partage dont celle-ci, venant par représentation de sa mère prédécédée, a bénéficié de la part de ses grands-parents, au même titre que son oncle, se fonde exclusivement sur les dispositions de l’acte litigieux selon lesquelles cet oncle, attributaire du bien, objet de la donation, devrait verser à sa nièce une soulte représentant la moitié de la valeur de ce bien, sans rechercher si, compte tenu de l’époque fixée pour l’exigibilité de la soulte, la donation-partage procurait a la donataire un quelconque avantage gratuit et pouvait, des lors, constituer une donation. »

A partir de là, grands-parents donateurs et petit(s)-enfant(s) vont pouvoir investir conjointement les fonds dans le capital d’une SCI qui sera appelée à faire l’acquisition d’un bien immobilier selon le schéma suivant :

Grands-parents → Usufruit
Petits-enfants → Nue-propriété

BIEN IMMOBILIER

II – ASPECTS FINANCIERS ET FISCAUX

Le réinvestissement conjoint de l’usufruitier et du nu propriétaire dans le capital d’une SCI appelé à réaliser l’investissement immobilier offre un effet de levier financier et fiscal intéressant. En effet, les grands-parents ne donnent que la nue-propriété et les droits seront calculés sur cette base, mais en amenant leur usufruit au capital de la SCI, ils augmentent la capacité financière de celle-ci.

Si l’on prend l’exemple de grands-parents âgés entre 71 et 80 ans, leur usufruit est de 30 % et la nue-propriété de 70 % (art. 669 du CGI). En donnant une somme de 1 M€ à un petit-enfant en nue-propriété, la valeur de la donation sera de 700 000 € (1 M€ x 70 %) et les droits seront calculés sur ce montant. Mais l’investissement de la SCI sera bien de 1 M€. Au décès des grands-parents, l’usufruit disparaîtra pour reformer la pleine propriété des parts de la SCI entre les mains des petits-enfants sans coût fiscal (art. 1133 du CGI). Ainsi, ceux-ci auront pu investir une somme de 1 M€ alors qu’ils n’auront reçu que 700 000 €.

La donation d’une somme d’argent, qu’elle soit réalisée en pleine propriété ou en nue-propriété offre également un autre avantage sur le plan fiscal, qui tient à la prise en charge des droits par le donateur. Pour reprendre notre exemple, supposons que les grands-parents donateurs soient mariés sous le régime de la communauté de biens de sorte que chacun d’eux est censé transmettre 350 000 € au petit-enfant (700 000 €/2). Après l’abattement spécifique visé à l’article 790 B du CGI (31 865 €), les droits ressortiront à 123 642 €, soit à 17,66 % de la donation.

Ainsi, sur la donation d’une somme de 700 000 €, il ne restera au donataire que 576 358 € (700 000 € – 123 642 €). Si les grands-parents donateurs prennent en charge les droits de donation, en restant dans l’enveloppe de 700 000 €, la somme donnée nette d’impôt est de 595 000 €. C’est cette somme qui sera retenue pour le calcul des droits de donation, qui ressortiront à 105 000 €. Le donataire recevra donc 595 000 € au lieu de 576 358 €.

La SCI n’est pas le seul véhicule d’investissement possible car plusieurs cas peuvent se présenter :

  • Acquisition de la résidence principale du petit enfant : la SCI est adaptée ;
  • Acquisition d’un bien immobilier destiné à être loué nu : la SCI est adaptée ;
  • Acquisition d’un bien immobilier destiné à être loué meublé : la SCI n’est pas adaptée.

En effet, la location meublée étant considérée comme une activité commerciale sur le plan fiscal, la SCI pourrait basculer dans le champ d’application de l’impôt sur les sociétés, ce qui peut être très pénalisant en cas de revente du bien. La SCI va certes pouvoir comptabiliser en charges des amortissements comptables qui diminueront son résultat imposable mais en cas de revente du bien, la plus-value sera calculée à partir du prix de revient fiscal après amortissements, non à partir du prix d’acquisition.

Dans le cas d’une location meublée, il vaut donc mieux adopter la forme d’une SARL de famille qui permet de rester dans le champ de l’impôt sur le revenu, tout en bénéficiant de la possibilité de déduire les frais d’acquisition et d’amortir le bien. En effet, les SARL de famille peuvent être constituées entre grands-parents et petits-enfants.

III – ASPECTS PATRIMONIAUX

S’agissant de sécuriser l’acquisition d’un patrimoine familial financé par une donation (en nue-propriété) et d’un apport (en usufruit) des grands-parents au capital de la SCI (ou de la SARL de famille), plusieurs questions se posent quant à la pérennité du montage juridique et son efficacité.

Tout d’abord, est-il possible de reporter le démembrement de propriété d’une somme d’argent sur des parts de société ? La question est d’importance car si l’apport en usufruit des grands-parents était rémunéré par des parts en peine propriété, le montage n’aurait qu’un intérêt limité.

Fort heureusement, il est admis que l’apport de biens démembrés au capital d’une société soit rémunéré par des parts elles-mêmes démembrées, par le mécanisme de la subrogation réelle conventionnelle.

L’autre question a trait à la présence d’un enfant mineur dans le capital d’une SCI, notamment si celle-ci est endettée. Il faut rappeler en effet que la responsabilité des associés dans une SCI est indéfinie, mais une clause des statuts peut limiter cette responsabilité à son apport. Si la SCI emprunte, il convient d’écarter la responsabilité de l’associé mineur dans l’acte de prêt.

Le troisième élément à prendre en considération est l’usufruit des grands-parents sur les parts sociales. A leur décès, il disparaît pour reformer la pleine propriété des parts entre les mains des petits-enfants. C’est là que la forme sociétaire prend tout son sens. Si les grands-parents et les parents sont nommés cogérants de la SCI et possèdent ne serait-ce qu’une part, une clause des statuts peut les rendre irrévocables. A la suite des grands-parents, les parents pourront donc gérer le patrimoine familial dans l’intérêt du petit enfant mineur ou du jeune majeur.


En définitive, la donation-partage transgénérationnelle avec un réinvestissement des fonds dans une structure sociétaire contrôlée par les grands-parents usufruitiers des parts est de nature à sécuriser fortement le patrimoine familial dans l’intérêt des petits-enfants. Les développements qui précèdent concerne le patrimoine immobilier mais ce schéma est duplicable pour d’autres investissements (financiers par exemple) ou d’autres formes sociales, telles que les sociétés par actions simplifiées (SAS) qui laissent place à une grande liberté statutaire.

Le 31 Octobre 2025

Richard GAUDET