
Emmanuel RAVUT
Avocat à la Cour de Paris
Cabinet Bayet & Associés
LA GARANTIE LEGALE D’EVICTION DUE PAR LE VENDEUR DE TITRES DE SOCIETE AU PROFIT DE SON ACHETEUR
Dans la plupart des opérations de vente de titres de société, le vendeur s’engage contractuellement dans le cadre du protocole de cession des titres à ne pas faire concurrence à son acheteur sur un territoire défini et pour une durée et une activité également définies.
C’est une garantie contractuelle qui vient s’ajouter à la garantie légale d’éviction dont bénéficie l’acheteur des titres d’une société au titre de l’article 1626 du Code civil :
« Quoique lors de la vente il n’ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l’acquéreur de l’éviction qu’il souffre dans la totalité ou partie de l’objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente. »
La garantie légale d’éviction interdit donc au cédant de titres de société de se rétablir en concurrençant la société qu’il vient de céder, mais elle est délimitée dans le temps au regard de l’activité et du marché concernés.
De cette garantie, la Cour de cassation déduit, à la charge du cédant, une interdiction de commettre des actes de nature à constituer des reprises ou des tentatives de reprise du bien vendu ou des atteintes aux activités telles qu’elles empêchent l’acquéreur de poursuivre l’activité économique de la société.
Un arrêt récent de la Cour de cassation (Cass. com. 6-11-2024 n° 23-11.008 F-D) vient de donner les limites de la garantie d’éviction en rappelant que l’interdiction de concurrence qui s’impose au cédant de titres de société s’apprécie de manière concrète, au regard de l’activité et du marché concernés.
En l’espèce, l’acquéreur des actions d’une société éditant des logiciels avait agi en garantie d’éviction contre les cédants, leur reprochant d’avoir créé après la cession une société dans le même domaine d’activité. La Cour d’appel saisie de ce dossier a cependant considéré que les cédants n’avaient pas enfreint les dispositions de l’article 1626 du Code civil, d’une part car l’un des cédants avait créé la société concurrente trois ans et cinq mois après la cession des titres et que l’autre cédant l’avait rejoint en tant que salarié quatre ans et cinq mois après la cession ; la mise en ligne de la première version d’un logiciel par la société concurrente était intervenue près de cinq ans après la cession, de même que le recrutement d’anciens salariés de la société cédée.
La Cour de cassation a pris en compte la nature du marché sur lequel intervenait la société vendue, à savoir le développement des produits informatiques et des prestations de services y afférentes, où l’innovation technologique est rapide, faisant ainsi évoluer les services et prestations offerts d’une année sur l’autre ; interdire pendant plusieurs années à des cédants d’une société intervenant sur un marché aussi innovant et évolutif que celui des prestations informatiques de se rétablir apparaîtrait disproportionné par rapport à la protection des intérêts du cessionnaire, laquelle doit se conjuguer avec la protection de la liberté d’entreprendre.
La Cour de cassation avait déjà précisé que l’interdiction pour le cédant de se rétablir doit être proportionnée aux intérêts légitimes à protéger et que les juges doivent rechercher si l’interdiction de se rétablir se justifie encore au moment des faits reprochés.
Le 20 Janvier 2025