REDRESSEMENT FISCAL SUR MANAGEMENT FEES: COMMENT S’EN PREMUNIR?

Le terme « management-fees » est une expression anglophone relative aux honoraires versés par une filiale à sa société mère, en contrepartie de prestations rendues par celle-ci.

Les managements-fees sont souvent mis en place à l’occasion d’un LBO (reprise d’une société par des tiers) ou d’un OBO (vente de l’entreprise par les dirigeants en place à une holding constituée par eux-mêmes), afin de permettre des remontrées de trésorerie de la société filiale vers la société mère susceptibles de rembourser l’emprunt de cette dernière, sans attendre des distributions de dividendes annuels. De plus, alors que les dividendes sont prélevés sur des résultats ayant supporté l’impôt sur les sociétés (IS), les managements-fees sont prélevés sur le résultat d’exploitation de la filiale avant IS. Ils constituent donc normalement une charge déductible pour la filiale.

Les conventions de management fees peuvent recouvrir trois réalités très différentes :

 

1° – La première est la convention de management fees ciblée. Tel est le cas lorsqu’une entreprise souhaite déléguer à un tiers une activité très précise, telle que par exemple son service comptable ou une activité de R & D. Dans ce cas, il n’y a généralement pas de problème ; la facture du prestataire se réfère au contrat qui, lui-même, détermine l’objet de la mission, son coût, sa durée… Notons que le tiers n’est pas forcément lié par des liens capitalistiques avec le bénéficiaire de la prestation.

 

2° – Le deuxième type de convention, et de loin le plus courant, est celui qui couvre des prestations administratives, commerciales, juridiques, comptables, financières et de gestion. S’y ajoutent parfois des prestations techniques. Ces prestations sont généralement dispensées par une société holding que l’on qualifie alors de holding active.

 

3° – Le troisième type de convention est celui qui consacre une véritable immixtion de la société mère dans la gestion de sa filiale. Pour être exempt de tous reproches, la société mère est généralement nommée dirigeante de la société filiale, ce qui suppose que la forme juridique de celle-ci lui permette d’avoir comme dirigeant une personne morale (SAS, société civile, SNC).

La société mère est ainsi rémunérée en conséquence, sans avoir à conclure avec sa filiale une convention de management, et si elle le fait, c’est pour définir l’étendue de ses compétences ou parce que la société dirigeante est une société tierce. En effet, dans un tel cas de figure, la Cour de cassation considère qu’une SAS peut valablement confier sa direction générale (et non la présidence) à une société tierce qui n’est pas titulaire d’un mandat social, dès lors que les statuts de la SAS ne s’y opposent pas (Cass. Com. 24 novembre 2015, n°14-19685).

 

Mais si la société mère est nommée dirigeante de la filiale, il s’agit évidemment de la forme d’intégration la plus poussée. Elle peut alors contracter avec les tiers au nom de sa filiale, exercer un pouvoir hiérarchique sur les salariés de la filiale, passer contrat avec des fournisseurs, signer les déclarations fiscales et sociales… L’intégration économique et sociale des deux entités est alors totale.

 

De plus en plus de contentieux fiscaux se sont fait jour sur la déductibilité des redevances versées à la société mère, soit parce que la réalité des prestations de la société mère n’est pas démontrée, soit parce que la redevance est jugée excessive par l’administration. Et les choses se compliquent lorsque la société mère est située à l’étranger.

 

Les sources de contentieux relatifs aux management fees

La réalité des prestations

Il s’agit du premier axe d’attaque de l’administration fiscale car il ne suffit pas de produire une convention d’assistance établie par la société mère au profit de sa filiale ; encore faut-il démontrer qui a fait quoi et quelles en ont été les retombées positives pour la filiale.

La convention constitue donc un premier indice, mais elle est à elle seule insuffisante, et lorsque les factures émises par la société mère renvoient à la convention, sans plus de précisions, ou évoquent une prestation de conseil sur un sujet déterminé mais dont la nature et l’étendue, en termes de personnel affecté et d’heures passées, restent floues, l’imprécision est alors totale.

Or, le droit fiscal n’aime pas l’imprécision et le juge de l’impôt le rappelle constamment :
– Lorsqu’une société n’apporte aucune justification quant à la réalité des services que les honoraires versés à un tiers auraient rémunérés, ces honoraires peuvent être rapportés pour leur totalité aux résultats (CE 2-3-1988 n° 45625-71877, 8e et 9e s.-s. : RJF 4/88 n° 412).

– A défaut de pouvoir présenter un exemplaire des études qu’aurait effectuées pour son compte l’un de ses associés, une société ne peut déduire de ses résultats les rémunérations versées à l’intéressé à raison de ces travaux (CE 17-6-1985 n° 35487, 7e et 9e s.-s. : RJF 8-9/85 n° 1157).

Il faut donc produire des dossiers qui ont du sens et qui sont justifiables. Si la holding accompagne sa filiale dans des prestations commerciales, le dossier doit comprendre la liste des personnes rencontrées, le nombre d’heures passées, les retombées espérées et celles obtenues. Un document de synthèse ou un rapport peut être établi.

Par exemple, malgré le caractère immatériel des prestations rendues, une société holding qui a néanmoins produit un rapport de soixante et une pages synthétisant les études stratégiques, les négociations, les audits comptables et juridiques menés en vue de l’opération d’investissement projetée, peut justifier de la réalité de ses prestations l’hôtellerie (CAA Marseille 17-1-2014 n° 11MA02067, 3e ch., SA Homair Vacances : RJF 6/14 n° 545).

Si les prestations sont rendues à la filiale à titre purement interne, sans contact avec des clients ou fournisseurs, il faut pouvoir en démontrer la réalité sans qu’il n’en résulte forcément de traces tangibles. Nous sommes ici dans un contentieux qui s’apparente à celui de la preuve de l’animation de la filiale par la holding.

Les choses ont un petit peu évolué depuis un arrêt du Conseil d’Etat du 13 juin 2018 (CE plén. 13-6-2018 no 395495, 399121, 399122, 399124), qui a jugé que des correspondances et procès-verbaux de conseil d’administration et d’assemblée générale versés au dossier, parfois même très anciens, établissent que le président de la holding, qui dirige aussi la société opérationnelle, exerce un rôle essentiel à la conduite du groupe, notamment par la recherche de partenariats et de projets de recherche et développement.

Cette étape franchie, il faut ensuite démontrer la contrepartie que la filiale a retiré des prestations de la holding.

La notion de contrepartie

En droit fiscal, la notion de contrepartie peut être assimilée à la notion civiliste de « cause » car une obligation sans cause ou sur une fausse cause ne peut produire aucun effet. Cette règle juridique, issue de l’ancien 1131 du Code civil, a été reprise dans l’article 1169 du même Code qui évoque désormais la « contrepartie ». C’est un terrain de chasse traditionnel de l’administration qui caractérise l’absence de contrepartie dans une prestation de la holding qui peut être assumée personnellement par la filiale.

Ainsi, une filiale ne peut déduire de ses résultats une somme annuelle forfaitaire versée à sa société mère au titre des « frais de présidence » de M. H. qui assure les fonctions de PDG au sein des deux sociétés, dès lors que la société mère n’a fourni aucune prestation de services distincte des activités que M. H. a exercées dans le cadre normal de ses fonctions de dirigeant de la filiale. Est inopérant le moyen tiré de ce que le PDG n’a perçu aucun salaire de la filiale, dès lors que la décision prise par celle-ci de ne pas le rémunérer constitue une décision de gestion qui lui est opposable (CAA Nancy 9-10-2003 n° 98-2182, 2e ch., SA Gamlor : RJF 1/04 n° 10).

De même, ne sont pas déductibles les sommes versées par une filiale à sa mère pour des prestations qui relèvent du mandat social de leur dirigeant commun (TA Nancy 30-11-2017 n° 1602742 et 1602743 BF 5/18 inf. 404).

Enfin, il reste à déterminer si les prestations facturées par la holding ne sont pas excessives.

 

La prestation excessive

Des honoraires ou des commissions doivent être proportionnés à l’étendue des services rendus. Pour l’appréciation de cette condition, la jurisprudence se réfère à la pratique habituellement suivie par les entreprises pour des opérations analogues.

 

Dans le cas des prestations de holding, l’identité des dirigeants avec la filiale est évidemment un élément à charge qui peut faire apparaître la prestation comme excessive ou suspecte.

 

Ainsi, les honoraires qu’une société construisant des centres commerciaux a versés à l’un de ses administrateurs en sa qualité de conseil technique n’ont été admis qu’à concurrence de 25 % dans les charges déductibles dès lors que (CE 2-3-1998 n°45625-71877 8ème et 9ème RJF 4/88 n°412) :

 

–  la société employait un personnel technique très qualifié et avait recours aux services de bureaux d’études ;

–  l’intéressé exerçait ses activités dans d’autres entreprises et ses fonctions dans la société lui permettaient d’influer sur le montant des rémunérations qui lui étaient versées ;

–  la société a déclaré des résultats négatifs pour les années en litige.

La démarche méthodologique pour sécuriser les management fees

La convention de management fees, comme d’ailleurs la convention de trésorerie, apparaît souvent comme le parent pauvre de l’édification d’un groupe de sociétés. Rédigée à la hâte, le protocole de cession, la garantie de passif et les statuts de la holding, ne lui laissent aucun relief aux yeux des rédacteurs d’actes, et il est même étonnant de constater que les banques appelées à financer une reprise n’en demandent souvent même pas le projet.

Or, elle est la pierre angulaire du financement, notamment dans les entreprises qui pratiquent d’importantes dotations aux amortissements susceptibles de réduire le résultat net transmissible à la holding par le biais de dividendes. Toute remise en cause par l’administration va nécessairement créer un précédent qui va menacer l’édifice.

Pour prévenir les difficultés, la première démarche et de déterminer sur quoi va porter la convention de prestations de la holding. C’est ici qu’il va falloir arbitrer entre les différents types de conventions évoqués en préambule. Plus la convention sera généraliste, plus elle sera précise. Il faut proscrire des expressions lacunaires que l’on retrouve parfois dans certains modèles telles que « la recherche d’opportunités d’investissement » ou « l’assistance dans la gestion commerciale ». On optera plutôt pour « la recherche d’opportunités d’investissement dans le secteur de… pour l’acquisition de … présentant les caractéristiques suivantes : … » ou « l’assistance dans la gestion commerciale du personnel affecté à la diffusion des produits suivants : … ».

On s’attachera bien sûr à ce que la holding dispose du personnel pour remplir sa mission et si les prestations sont effectuées par les dirigeants eux-mêmes, on optera pour une forme juridique de la filiale qui lui permette d’avoir comme dirigeant la société holding (SAS notamment), afin d’éviter les double emplois. Notons sue ce point que si l’existence d’un procès-verbal d’assemblée générale de la filiale nommant la holding comme présidente est une condition nécessaire en droit des sociétés, cela n’apparaît pas comme une condition suffisante en droit fiscal. Le procès-verbal pourra utilement décrire la mission de la holding au titre de son mandat social et comporter une véritable définition de fonction car si la réalité du travail exercé par un dirigeant personne physique est présumée, l’interposition d’une société holding est source de doute pour l’administration.

Il faut ensuite prouver la réalité des tâches de la holding. Courriers électroniques, agendas des intervenants, sont autant d’éléments qui vont corroborer la réalité des prestations. Mais ces indices pourront utilement être complétés de rapports mensuels ou trimestriels retraçant les actions menées et, idéalement, il faut faire signer ces rapports par les salariés affectés aux tâches de la holding, et disposer de comptes rendus de réunions.

Une attention particulière sera apportée aux factures de la holding. Le libellé de celles-ci est trop souvent vague, sans substance. Or, s’il incombe à l’administration de prouver qu’une facture est fictive ou de complaisance (CE 18 septembre 1998 n° 149341, SARL Diva : RJF 11/98 n° 1330), il revient au contribuable d’apporter la preuve de la réalité des prestations lorsque l’administration justifie de l’inexistence des prestations en cause (CE 13 janvier 2006 n° 267684, SA Tiffon : RJF 4/06 n° 433).

Cette dialectique de la preuve est souvent méconnue des entreprises qui présument que la facture se suffit en elle-même. Il n’en est rien. La facture est une pièce comptable mais c’est aussi une pièce juridique. Sa simple lecture doit renseigner sur la nature de la prestation, sur le temps passé ou les quantités livrées. Au besoin, la facture peut renvoyer à une note décrivant la nature de la prestation et le personnel affecté, mais ne doit en aucun cas porter la mention « Honoraires… selon convention de prestation de services du… ».

Enfin, reste la question du montant des facturations. Pour des prestations ciblées, très techniques, comme des prestations comptables, il n’y a généralement pas de problème. La référence aux honoraires pratiqués par le secteur concurrentiel est un élément de comparaison pertinent.

Pour des honoraires rémunérant des prestations de direction (cas notamment de la holding dirigeante d’une SAS), il convient de se référer aux bases de données disponibles relatives à la rémunération des dirigeants d’entreprises comparables. Lorsque ces données sont inexistantes ou inadaptées, la jurisprudence comme la doctrine administrative se fondent sur l’importance de l’entreprise, notamment son chiffre d’affaires et ses bénéfices, ainsi que sur les responsabilités incombant à l’intéressé (CE 7e-9e s.-s. 22-12-1969 n° 75612 : Dupont 1970 p. 163, BOI-CF-CMSS-20-40-20 n° 360, 12-9-2012).

Pour des prestations plus généralistes (honoraires de gestion administrative, commerciale, financière…), il est plus difficile de trouver des éléments de comparaison fiables, tant les pratiques diffèrent suivant la taille des groupes et leur secteur d’activité. Mais il faut bien admettre que les modalités de fixation de tels honoraires relèvent souvent de l’arbitraire dans les PME.

Or, celles-ci ont à leur disposition un outil d’analyse qui a été publié par l’administration fiscale et qui est emprunté aux prix de transfert lorsqu’il s’agit de déterminer les niveaux de facturation entre sociétés liées au niveau international. Après avoir procédé à une analyse fonctionnelle au sein du groupe (qui fait quoi ?), l’entreprise a le choix entre plusieurs méthodes de rémunération :

– trois méthodes dites traditionnelles, fondées sur les transactions : le prix comparable sur le marché libre, le prix de revente moins, et le prix de revient majoré ;

– deux méthodes dites transactionnelles, fondées sur les bénéfices : la méthode du partage des bénéfices et la méthode transactionnelle de la marge nette.

Toutes ces méthodes sont recevables si elles sont pertinentes et bien documentées. C’est malheureusement rarement le cas dans les transactions internes de groupe de PME, du moins au niveau national.

 

 

Etablir une convention de management-fees ne s’improvise pas mais sa rédaction n’est que le résultat d’une étude poussée des fonctionnalités de l’entreprise et les flux de facturation entre la holding et sa filiale doivent reposer sur une causalité incontestable.

En droit fiscal, utilisées comme outil de financement du prêt de la holding, les conventions de management-fees sont souvent mal appréhendées. Par exemple, il n’est pas rare de voir une holding facturer le double de ses charges de personnel alors qu’en matière de prix de transfert, les services d’assistance technique ou administrative, fournis sans qu’il y ait transmission ou mise à disposition d’un savoir-faire, peuvent être facturés lorsqu’ils sont affectables à telle ou telle entreprise du groupe sur la base d’un coût de revient majoré. On comprend très vite que ce prix de revient majoré (ou « cost plus ») ne peut correspondre à 200 % des charges de la holding et le rehaussement de la filiale est alors inéluctable.

Pour financer leur capacité d’emprunt, les holdings peuvent très bien circulariser au sein du groupe les actifs nécessaires à l’activité de la filiale. Elles peuvent par exemple appréhender sous forme d’une distribution de dividendes en nature, bénéficiant du régime fiscal des sociétés mères et filiales, des marques ou des immobilisations corporelles appartenant à la filiale et rendre la holding porteuse de la principale richesse de l’entreprise pour justifier des facturations d’un niveau élevé.

Richard GAUDET – Avocat à la Cour