
Richard GAUDET
Avocat à la Cour de Paris
Cabinet Bayet & Associés
En l’absence de successibles en ligne directe et en présence de neveux et nièces, la transmission d’un patrimoine immobilier est un exercice délicat et fiscalement onéreux. Rappelons que les droits de succession ou de donation sont alors de 55 %, sauf lorsque les neveux et nièces viennent à la succession de leur oncle ou tante en représentation de leur auteur (frère ou sœur du défunt), auquel cas les droits sont de 45 %.
Les techniques traditionnellement utilisées (donation de sommes d’argent tous les 15 ans ; assurance vie) ne sont malheureusement pas adaptées pour la transmission d’un patrimoine immobilier et ceux qui se sont essayés à des ventes en viager dont les rentes ont été converties en obligation de soins ont eu bien souvent à essuyer les foudres de l’abus de droit fiscal.
Comme tout objectif patrimonial, transmettre aux deuxième degré collatéral nécessite une anticipation mais suppose également de sortir des sentiers battus. A l’instar de l’entrepreneur qui convoite une entreprise, c’est toute une ingénierie financière et fiscale qu’il convient de mettre en place.
La première démarche consiste à identifier ceux des biens immobiliers que l’on veut transmettre et à distinguer ceux qui sont productifs de revenus de ceux qui ne le sont pas.
I – LES BIENS IMMOBILIERS PRODUCTIFS DE REVENUS :
- – Les biens loués nus :
Il s’agit ici des biens qui font l’objet d’un bail commercial, d’un bail d’habitation ou d’un bail professionnel, sans que le loyer soit indexé sur les résultats du locataire.
La valeur vénale de ces biens, c’est-à-dire la valeur de marché, peut être déterminée par des transactions récentes et portant sur des biens comparables (1).
La valeur vénale (VV) peut être combinée avec la valeur de productivité (VP) qui est calculée à partir des loyers auxquels on applique un taux de capitalisation. La valeur vénale étant privilégiée, la valeur du bien peut être obtenue par la formule (VV x 2 + VP/3) ou tout simplement en appliquant à la valeur vénale un abattement de 20 % pour occupation, un bien loué n’ayant pas la même valeur qu’un bien libre.
Une fois cet exercice effectué, il faut savoir comment transmettre. Et là, la constitution d’une société civile immobilière (SCI) par les neveux et nièces présente un avantage considérable, pourvu qu’elle soit soumise à l’impôt sur les sociétés (IS). C’est en effet cette SCI qui va acquérir les biens immobiliers de l’oncle ou de la tante.
Premier constat : cette vente va donner lieu à des droits d’enregistrement de 5,8 % à la charge
de la SCI, ce qui est tout de même plus intéressant que des droits de donation à 55 %.
Deuxième constat : les revenus des biens ne seront plus soumis à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux, mais au régime de l’impôt sur les sociétés (IS), avec un taux de 15 % jusqu’à 42 500 € de bénéfice et de 25 % au-delà. Par ailleurs, dans le régime de l’IS, les biens sont amortissables ce qui diminue d’autant le résultat imposable.
La créance de l’oncle ou de la tante vendeur pourra être financée par emprunt bancaire contracté par la SCI et/ou au moyen d’un crédit-vendeur consenti à la SCI qui disposera des loyers pour la rembourser. Mais, pour le vendeur, et contrairement à des loyers, les revenus perçus seront défiscalisés.
Pour que le raisonnement soit complet, il faut déterminer l’imposition de la plus-value que pourraît entraîner cette vente chez le cédant car l’imposition de cette plus-value (ou son exonération) est le corollaire de la perception d’un capital défiscalisé.
Cependant, la création d’une SCI à l’IS uniquement pour générer de la défiscalisation ne serait pas loin de l’abus de droit, au sens où le réprime l’article L 64 du Livre des Procédures fiscales, s’il n’y avait pas d’autres motivations. Or, l’autre motivation est de pouvoir organiser le patrimoine familial en vue de sa transmission.
La constitution d’une SCI (qu’elle soit ou non soumise à l’IS) permet de répondre à cette préoccupation de transmission de patrimoine :
- D’une part, en passant par une vente plutôt qu’une donation pour rendre financièrement possible la transmission d’un patrimoine ;
D’autre part, pour éviter une indivision entre les neveux et nièces.
Constituer une société civile permet en effet d’éviter les risques de blocage liés à l’indivision. Dans l’indivision, toute décision nécessite en principe l’accord de tous les indivisaires ou au moins des deux tiers d’entre eux. Par contre, dans une société civile, les gérants, désignés par les statuts ou par une décision d’assemblée par les associés, disposent de pouvoirs substantiels de gestion des biens de la société, ce qui permet d’éviter les situations de blocage.
En substance, si un montage juridique répond à une logique exclusivement ou principalement fiscale (2), l’abus de droit est caractérisé. En revanche, si un montage répond à une logique économique ou patrimoniale, il échappe à l’abus de droit.
Dans l’absolu, les neveux et nièces peuvent constituer une SCI avec un capital très symbolique pour acquérir les biens immobiliers. Mais l’administration pourrait y voir un indice de fictivité de la société civile. Il faudrait à tout le moins que la SCI puisse couvrir les frais de l’opération (droits de vente et émoluments notariés).
Il est alors judicieux de donner aux neveux et nièces la somme leur permettant de souscrire au capital de la SCI en nue-propriété (cette somme étant taxée à 55 %), l’oncle ou la tante souscrivant l’usufruit des parts de la SCI (3).
Le schéma est alors le suivant :
- 2– Les biens loués meublés :
Nous nous intéressons ici à des biens immobiliers qui ont une certaine consistance, c’est-à-dire ceux qui sont loués en maison de vacances ou une pluralité de biens situés dans un même immeuble de rapport.
L’objectif ici est de sortir du régime juridique du louage de choses pour se placer dans la prestations de services, c’est-à-dire offrir en plus de la location meublée stricto sensu des services de type para hôtelier. Le Code général des impôts en recense quatre :
- Le nettoyage régulier des locaux : un simple nettoyage au début et fin de séjour est insuffisant ;
- Le petit déjeuner : directement dans les chambres ou dans un local dédié ;
- La fourniture du linge de maison ;
La réception, même non personnalisée de la clientèle : un simple système d’accueil électronique est suffisant. Trois au moins de ces quatre services doivent être proposés au locataire. La para hôtellerie oblige à appliquer une TVA à 10 % sur les loyers, réduisant ainsi la marge du bailleur, mais en contrepartie, celui-ci a la possibilité de récupérer la TVA sur ses investissements et ses dépenses (même au taux de 20 %).
Le régime de la para hôtellerie est éligible au Pacte Dutreil qui permet de réduire la valeur de l’entreprise de 75 % de son montant pour le calcul des droits si un engagement collectif ou unilatéral de conservation de deux années est pris sur l’entreprise individuelle exploitant l’activité et si le donataire s’engage à son tour à conserver pendant au moins quatre ans l’entreprise ou les titres transmis. Rappelons en effet que si la loi de finances pour 2024 a exclu de ce dispositif les simples locations meublées ou équipées, les locations para hôtelières restent éligibles.
Cerises sur le gâteau : si l’entreprise ou les parts/ou actions de société sont données en nue-propriété, l’abattement propre à l’usufruit conservé par le donateur se cumule avec l’abattement Dutreil. Et le donateur se trouve exonéré d’IFI dès lors que son implication effective dans l’activité permet de la regarder comme réellement exercée à titre professionnel.
Prenons un exemple simple : une personne âgée de 83 ans souhaite transmettre à son neveu une maison de vacances d’une valeur de 3 000 000 €.
Si la donation intervient en nue-propriété, les droits dus par le neveu seront les suivants :
3 000 000 € x 80 % (abattement usufruit du donateur) x 55 % : 1 320 000 €.
Si le bien est exploité en para-hôtellerie avec tous les services associés, les droits seront alors les suivants :
3 000 000 € x 80 % (abattement usufruit du donateur) x 25 % (abattement Dutreil) x 55 % : 330 000 €.
Mais attention : tous les services de la para-hôtellerie doivent effectivement être fournis et l’activité ne peut être structurellement déficitaire. En effet, une réponse ministérielle exprimée à propos des locations meublées professionnelles (et par assimilation aux activité para hôtelières) indique ce qui suit :
Les locaux d’habitation loués meublés ou destinés à l’être sont considérés comme des actifs professionnels exonérés d’impôt sur la fortune immobilière (IFI), à la condition notamment que le redevable réalise plus de 23 000 € de recettes annuelles dans le cadre de cette activité et qu’il en retire plus de 50 % de ses revenus professionnels (CGI art. 975, V-1o). Après avoir rappelé que, pour apprécier ce seuil de 50 %, il convient de retenir le bénéfice commercial net annuel dégagé par l’activité de location meublée et de le comparer avec le revenu professionnel net du foyer fiscal, y compris le bénéfice tiré de la location (BOI-PAT-IFI-30-10-10-10 no 60), l’administration ajoute que, en présence d’une activité de loueur en meublé générant des recettes annuelles supérieures à 23 000 € mais dont le résultat est déficitaire, la condition de seuil de 50 % ne peut pas être considérée comme remplie (Rép. Vidal : AN 9-4-2024 no 9897).
II – LES BIENS IMMOBILIERS NON PRODUCTIFS DE REVENUS :
Disons le tout de suite, c’est le cas de figure le plus complexe car par définition, aucun flux de trésorerie ne permet de substituer une vente à une donation.
Pour la donation de la nue-propriété d’un bien, si le barème fiscal défini à l’article 669 du code général des impôts est obligatoire, il n’en est rien dans la vente de la nue-propriété. En effet, dans une vente et d’un point de vue économique, on peut considérer que l’usufruit est le droit de percevoir les revenus durant le démembrement, la nue-propriété y donnant accès au terme de l’usufruit.
Le calcul économique de la nue-propriété conduit à se poser la question de savoir combien il convient de payer aujourd’hui un actif qui ne rapportera un rendement donné que dans X années. Il suffit alors de résoudre l’équation NP = PP(/1+t)n, NP étant la valeur de la nue-propriété, PP celle de la pleine propriété, t le taux de rendement retenu et n la durée du démembrement (c’est-à-dire l’espérance de vie de l’usufruitier). L’usufruit résulte d’une soustraction.
Si le bien procure effectivement des loyers, on se base sur leur montant. À défaut, on recherche quels revenus procure un immeuble de même catégorie donné en location.
Reste ensuite la question de la durée de l’usufruit. Lorsqu’un oncle ou une tante se préoccupe de transmettre la nue-propriété à des neveux et nièces, on constate qu’ils ont souvent un âge avancé (plus de 80 ans). La question se pose de savoir si l’on peut se baser sur une espérance de vie de l’usufruitier de 100 ans. Rien ne s’y oppose à condition que l’usufruitier n’ait pas de problèmes de santé particuliers.
Ce qui brouille les pistes est l’utilisation par la plupart des professionnels des tables de mortalité publiées par l’INSEE ou le barème Daubry utilisé dans le domaine du viager. Or, l’allongement de la durée de vie conduit à repenser complètement la question de l’évaluation de la privation de jouissance du nu propriétaire.
Un parlementaire avait ainsi attiré du ministre de l’économie et des finances sur les conséquences de l’allongement de la durée de vie sur les valeurs respectives de l’usufruit et de la nue-propriété. Pour tenir compte de cet allongement de la durée de vie constaté dans le passé le législateur a actualisé en décembre 2003 (art. 28 de la loi n° 2003-1312 du 30 décembre 2003 de finances rectificative pour 2003 ) le barème d’évaluation fiscale de l’usufruit et de la nue-propriété en augmentant sensiblement la valeur de l’usufruit et en diminuant corrélativement la valeur de la nue-propriété.
Au jour de la question du parlementaire, celui-ci faisait valoir que le barème fiscal de l’article 669 du CGI avait déjà 15 ans, alors même que la durée de vie continuait à progresser créant une réelle distorsion entre les valeurs fiscales et les valeurs économiques. Le ministre s’est contenté d’une réponse mettant en avant l’intérêt des finances publiques mais ne s’est pas vraiment prononcé sur la question (JO Sénat du 04/07/2019 - page 3521).
Or, on peut admettre qu’un usufruitier puisse vivre 100 ans. C’est tellement vrai que le barème de l’article 669 du CGI lui-même fixe la valeur de l’usufruit à 10 % de la valeur du bien au-delà de 91 ans, de sorte qu’il s’infère de ce barème, organisé par tranche de 10 ans, que l’usufruit atteint une valeur nulle au-delà de 101 ans.
L’utilisation du barème fiscal ou du barème économique conduit ainsi à des solutions très éloignées.
Exemple précédent : M. X, âgé de 83 ans, souhaite donner à son neveu la nue-propriété d’un bien d’une valeur de 3 000 000 € produisant un revenu de 4 % (ou pouvant procurer une telle rentabilité).
S’il donne le bien à son neveu (donc en utilisant le barème fiscal), les droits dus seront les suivants :
3 000 000 € x 80 % (valeur fiscale de la nue-propriété) x 55 % : 1 320 000 €.
S’il vend la nue-propriété à son neveu et utilise un barème économique, cette nue-propriété pourra être calculée comme suit :
3 000 000 €/(1 + 0,04) 17 : 1 540 120 €
Pour permettre au neveu d’acquitter le droit de vente de 5,8 % et d’acheter le bien, l’oncle va lui donner une somme de 1 629 447 €, soit des droits de donation de : 1 629 447 € x 55 % : 896 195 €.
Sous réserve du calcul de l’impact des plus-values de cession, cette dernière solution s’avère plus intéressante.
- Le site Patrim de l’administration fiscale fournit ce type de comparables.
- La notion de mini abus de droit de droit (but principalement fiscal), inventée par le législateur, est codifiée à l’article L 64 A du Livre des Procédures fiscales.
- L’oncle ou la tante peut prendre en charge ces droits sans que cela ne soit considéré comme un supplément de donation.
Le 6 mars 2025
Richard GAUDET