De l’intérêt de respecter les dispositions de la loi travail relative au forfait annuel en jours

A titre liminaire, il semble utile de rappeler les règles de base à respecter.

Pour être applicable à un salarié, le forfait jour doit être visé à la fois dans un accord collectif (convention collective, accord de branche, accord entreprise, accord établissement …) et une convention individuelle écrite, signée par l’employeur et le salarié (contrat de travail, avenant).

Il n’est donc pas possible de prévoir dans un contrat de travail une clause relative au forfait jour si aucun accord collectif ne l’envisage.

Egalement, la seule présence du forfait jour dans un accord collectif ne serait pas opposable au salarié si l’employeur n’y a pas fait référence dans son contrat de travail.

Il faut également savoir que le forfait jours, comme son nom l’indique, est un décompte du temps de travail en jours et non en heures.

Un employeur ne peut donc reprocher à un cadre, avec lequel il a convenu une convention de forfait jours, de ne pas respecter les horaires de travail tels que mentionnés sur l’affichage obligatoire.

La seule limite existante est la notion de temps de repos obligatoire qui est de 11 heures par jour, le salarié pouvant donc avoir une amplitude maximale journalière de 13 heures de travail.

C’est d’ailleurs pour cette raison que des conditions de contrôle de l’application du forfait jours, des modalités de suivi de l’organisation du temps de travail des salariés concernés ainsi que l’amplitude de leur journée d’activité et la charge de travail qui en résulte ont été mise en place par le législateur et/ou par les partenaires sociaux.

En effet, l’accord collectif doit prévoir des stipulations qui sont de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail et le temps de repos sont respectés et qu’une bonne répartition dans le temps du travail du salarié est assurée afin d’assurer la protection de sa sécurité et de sa santé : Cass. Soc 29 juin 2011 n°09-91.107 ; Cass. Soc 17 décembre 2014 n° 13-22.890 et récemment, Cass. Soc. 25 janvier 2017 n°15-14.807 .

Les conventions de forfait jours conclus sur la base d’un accord collectif ne répondant pas à ces conditions étaient frappées de nullité.

La nullité entraînait le paiement d’heures supplémentaires si la preuve de la réalisation de ces heures est apportée par le salarié ou le paiement de dommages-intérêts résultant de la nullité.

La loi Travail du 8 août 2016 a réaffirmé ces obligations tout en les modulant afin de laisser une marge de manœuvre à l’employeur et d’empêcher la sanction résultant d’un accord collectif lacunaire.

Ainsi, depuis le 1er janvier 2017, les conventions de forfait jours conclues sur la base d’un accord collectif ne comportant pas les exigences de la Cour de cassation ne seront plus frappées de nullité sous réserve que l’employeur mette en place un certain nombre de modalités permettant de pallier l’absence des mentions dans l’accord collectif.

Pour se faire, l’employeur devra établir un document de contrôle sur le nombre et la date des jours travaillés. Il devra s’assurer que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires. Il devra organiser une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, l’organisation de son travail, l’articulation entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle et sa rémunération.

Cependant, si l’employeur ne remplit pas ces obligations en présence d’un accord collectif lacunaire, le régime antérieur reprend ses droits et la convention de forfait jours sera frappée de nullité.

En conséquence, l’employeur se doit d’être attentif aux dispositions de l’accord collectif auquel il est soumis.

La Cour de Cassation considère que doit être examinée, en premier lieu, la validité du forfait jour au regard des dispositions de la convention collective. En cas d’imprécision de cette dernière, et notamment en termes de garanties relatives au respect des durées maximales de travail, les juges devront s’intéresser à l’existence d’accords collectifs de niveaux différents complétant les imprécisions de la convention collective.

Ainsi, l’employeur soumis à un accord de branche « non conforme » peut purger l’irrégularité en appliquant un accord d’entreprise « conforme « (en revanche, le recours à une convention individuelle de forfait garantissant le respect de la santé et la sécurité du salarié serait inopérant) : Cass. soc. 31 janvier 2012 n° 10-19.807.

A contrario, si l’accord collectif répond aux exigences posées par la Cour de cassation mais que l’employeur ne les exécute pas, la convention de forfait qu’il a conclu avec le salarié n’est pas frappée de nullité mais est privée d’effet : Cass. Soc 22 juin 2016 n°14-15.171, Cass. Soc 25 janvier 2017 n°15-21.90 et n°15-21.950.

Ainsi, le régime des 35 heures sera applicable et le salarié sera alors en droit de réclamer le paiement d’heures supplémentaires pour les heures effectuées au-delà de cette durée : Cass. Soc 2 juillet 2014 n°13-11.940.

Outre les dispositions ayant pour objet d’assurer le respect de la sécurité et la santé des salariés, l’employeur devra vérifier si le forfait ne s’applique pas obligatoirement à tous les cadres et s’il peut également s’appliquer à des non cadres, comme le prévoit, par exemple, la convention collective de l’immobilier.

Les critères d’application seront le degré d’autonomie dans l’organisation de son travail du salarié et l’impossibilité pour l’employeur de prédéterminer la durée du travail du salarié.

Il existe effectivement trois types de cadres tels qu’issus de la rédaction de la loi du 19 janvier 2000 :

  • les cadres au sens de la convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 4 mars 1947,
  • les cadres autonomes par opposition aux cadres soumis à l’horaire collectif et intégrés à un service et par distinction avec les cadres dirigeants,
  • les cadres dont la durée de temps de travail ne peut être pré déterminée du fait de la nature de leurs fonctions, des responsabilités qu’ils exercent et du degré d’autonomie dont ils bénéficient dans l’organisation de leur emploi du temps.

Les premiers seront soumis aux 35 heures, les derniers au forfait jours.

La situation sera plus complexe pour l’employeur concernant les cadres autonomes qui, en raison de leurs fonctions, pourront être soumis soit aux 35 heures, soit au forfait en heures, soit au forfait jours.

En conclusion, l’employeur devra être vigilant sur :

  • la rédaction de la fiche du poste relative à la fonction pour laquelle le salarié est recruté afin de déterminer plus précisément l’étendue des fonctions de ce dernier et de son autonomie ;
  • la rédaction de la clause durée du travail dans le contrat proposé au salarié ;
  • le suivi des documents qui devront être remplis conjointement avec le salarié et la tenue de l’entretien annuel obligatoire.

A défaut, les sanctions prononcées par le Conseil de Prud’hommes en cas de contestation de la convention de forfait peuvent être financièrement lourdes de conséquences.

En effet, il est fort probable que le salarié établisse ses calculs en divisant le salaire perçu par 151 heures 67.

Il en résultera un taux horaire sur lequel s’appliqueront les taux de majoration de 25 et 50 % peu importe que le salaire contractuel ait été fixé à un montant nettement supérieur au salaire minimum conventionnel.

Il restera alors à déterminer l’imputation des jours de RTT pris dans le décompte des heures supplémentaires afin de tenter de minorer le montant des condamnations à rappel d’heures supplémentaires.

Ce rappel d’heures supplémentaires entraînera nécessairement un rappel d’indemnités de congés payés.

On peut imaginer également, selon le cas d’espèce, une demande de condamnation complémentaire à une demande d’indemnité de 6 mois de salaires pour travail dissimulé.

En effet, le Code du Travail prévoit que l’absence de mention du temps de travail réellement effectué sur les bulletins de salaire, en ce comprises les heures supplémentaires, est constitutif de l’infraction de travail dissimulé et peut faire l’objet d’une condamnation à une indemnité égales à 6 mois de salaire en cas de rupture du contrat de travail.

Trois conditions sont nécessaires pour l’octroi de cette indemnité :

  • l’absence de mention des heures supplémentaires,
  • la rupture du contrat de travail,
  • l’élément intentionnel de l’employeur

Sur ce dernier point, la Cour de Cassation a considéré que cet élément intentionnel était constitué dès lors que l’employeur avait appliqué à un salarié un régime forfaitaire dont il ne relevait pas.

L’erreur possible de l’employeur n’était, sauf cas particulier, pas prise en considération.

Il ne faut pas oublier que les Conseillers Prud’homaux, et particulièrement les Conseillers salariés, sont très au fait de ces évolutions jurisprudentielles.

Ils commencent à acquérir de plus en plus souvent le réflexe, sur ce type de sujet, de demander au Conseil de l’employeur, durant sa plaidoirie de leur montrer si ce dernier est en possession de ces documents.

Les magistrats ne prennent également qu’en considération que les documents signés par les salariés.

A défaut de pouvoir les leur présenter, ils entrent quasi automatiquement en voie de condamnation quelque soit l’argumentaire opposé.

Il est manifestement préférable de sacrifier quelques heures tout au long de l’année afin d’éviter des condamnations qui, en cas de carence, sont susceptibles de s’automatiser.

Stéphane MORER                                              Lucile DOUCHET